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Raymond Loewy, le poète de l'industrie

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Google honore le Franco-Américain, père du design industriel qui aurait eu 120 ans ce mardi. Du logo Lucky Strike à la voiture Studebaker, ses créations éclectiques sont passées à la postérité.

Automne 1940, Park Avenue, New York. Comme à leur habitude, les locaux de la Raymond Loewy Company sont en pleine ébullition. Soudain, un homme rougeaud surgit dans le bureau directorial et apostrophe le patron: «C'est vous Loewy?» L'homme retire sa veste de tweed, garde sa casquette de pêcheur, garnie d'hameçons, vissée sur la tête et jette un paquet de Lucky Strike sur la table. «Je suis de l'American Tobacco. On me dit que vous pouvez faire mieux. Je n'en crois rien.»

Raymond Loewy est resté calme. La moustache plus frondeuse que jamais, il a juste répliqué: «Alors, pourquoi êtes-vous venu me voir? Vous voulez parier?» Face à lui, George Washington Hill, le patron de l'American Tobacco, a lancé un chiffre astronomique pour l'époque: 50 000 dollars. Six mois plus tard, Loewy gagnait son pari. Le coup de génie de ce pape du design industriel? Il aura su imposer un paquet d'un blanc intense et non plus vert. Autre «pêche miraculeuse

»: non content de relever le niveau de ses ventes, le design du paquet Lucky Strike remodelé par Loewy attirera un nouveau public féminin. Soixante ans plus tard, personne n'a encore fait mieux.

Par cette anecdote, sans doute la plus étonnante, voici brossé à grands traits le portrait de Raymond Loewy, l'«inventeur du design industriel», le «poète de l'industrie», le «Rodin de l'environnement», voire «l'apôtre de l'esthétique du rendement». Ces surnoms, plus variés les uns que les autres, il les aura tous endossés durant sa longue carrière outre-Atlantique entre 1929 et 1986, date à laquelle il s'éteint à Monaco à l'âge vénérable de 92 ans.

À vrai dire, en lisant la biographie habitée, nerveuse et enthousiaste de Raymond Loewy signée Laura Cordin, on ne cesse de se demander qui était réellement cet homme visionnaire, mélange stupéfiant entre un Géo Trouvetout et Léonard de Vinci. Derrière l'apparence impeccable d'un «Frenchy qui a réussi aux États-Unis», on décèle grâce à certaines correspondances qu'elle a retrouvées après enquête, des pans entiers laissés volontairement dans l'ombre de la légende.

Laura Cordin, qui a su s'effacer et ce n'est pas le moindre de ses talents au profit de cette personnalité hors du commun, l'écrit clairement: cet homme qui n'a pas raté le siècle aura passé son existence à façonner sa propre image. Prenons l'exemple de sa moustache. Dès son arrivée à New York en 1919, à peine sorti de la première guerre mondiale qu'il a d'ailleurs faite en tant que sous-lieutenant dans l'armée française, son visage est griffé par une belle moustache aérodynamique, rappel de ses origines françaises. Elle devient vite symbole du glamour hollywoodien à la Clark Gable. Décidément, Loewy sait ce qu'il fait. Il imposera plus tard dans ses Mémoires la légende de son arrivée américaine: celle d'un jeune Français n'ayant que quarante dollars en poche, un bel uniforme et une lettre de recommandation pour le magazine Vogue.

Avant cela, on aura eu droit à l'enfance de ce petit génie d'origine juive autrichienne, né à Paris en 1893. Il le raconte lui-même, c'est en 1908 qu'il assiste au vol du Brésilien Santos Dumont. Impressionné, il rentre chez lui et conçoit un avion-jouet propulsé par un élastique qu'il baptise Ayrel. Sans se démonter, il brevette cette invention qui connaît un grand succès auprès de ses camarades de classe. Grâce à ce modèle réduit, il remporte à 16 ans le premier prix de la célèbre James Gordon Benett Cup.

Jamais, Loewy n'abandonnera cet état d'esprit à la fois arrogant et ingénu, cette assurance de flambeur avec laquelle il décide de «redessiner» cette Amérique qui le fait tant fantasmer. Pourtant, quelle déception une fois arrivé au pays de ses rêves! Devenu simple illustrateur de mode, il s'essaie d'abord au métier d'étalagiste chez Macy's. Sans la moindre vergogne, il croit révolutionner une des devantures des célèbres magasins. Le soir même il est mis à la porte.

Commencent alors dix années de galères qui ne s'interrompront que lorsqu'un certain Sigmund Gestener lui confie sa machine à dupliquer. Nous sommes en 1929. La crise et le désespoir font rage. À partir d'un duplicateur «moche et qui sentait mauvais», Loewy façonne un nouveau prototype en argile, qui chamboule par sa silhouette profilée tout ce qui existe dans le domaine. La carrière de Loewy est lancée.

Entre ses mains, les plus simples appareils ménagers, réfrigérateurs, grille-pain, etc., deviennent des icônes d'élégance et de modernisme.

En réalité, sa grande intuition date de ses premiers pas aux États-Unis. L'émigrant français fasciné par son pays d'accueil découvre une nation jeune et industrieuse. À l'époque, la Ford T, dont un modèle unique sort d'usine chaque minute, n'est disponible qu'en une seule couleur: le noir. Loewy se demande simplement comment un pays aussi juvénile, puissant et dynamique que l'Amérique peut consommer des produits aussi grossiers, maladroits, bruyants et puants. Les quatre parasites de Loewy? le bruit, les vibrations, la résistance à l'eau ou à l'air et enfin les odeurs.

Bientôt, en vrai pionnier du marketing qui est persuadé que «la laideur se vend mal», il réinvente la bouteille de Coca-Cola, profile les locomotives de la Pennsylvania Railroad, redessine le transatlantique Princess Ann, conçoit l'intérieur du supersonique Concorde, celui de la capsule Skylab, sans oublier les logos de BP, Shell, Exxon, des Petit-Beurre LU et le sigle savamment penché de New Man qui se lit de bas en haut et inversement. Il fait la couverture du Time en 1949 en grand capitaine d'industrie qui endosse l'émergence du premier véritable style américain: le «Streamline». Entre ses mains, les plus simples appareils ménagers, réfrigérateurs, grille-pain, etc., deviennent des icônes d'élégance et de modernisme.

Il mettra également son génie visionnaire au service des automobiles et notamment pour la marque Studebaker. Son credo? Que ses monstres aérodynamiques donnent l'impression de vitesse même à l'arrêt. C'est ainsi que naissent en 1953 la Starliner ou l'Avanti. Les courbes de ces déesses de la route sont sensuelles, les carrosseries allégées, les formes simplifiées. En France, c'est la 2CV qui triomphe…

Somme toute, on s'aperçoit que l'œuvre de Loewy se lit comme un catalogue du XXe siècle. Sa vision du monde est nette, optimiste, fluide. Loewy voudrait vivre sur une planète qui a horreur du laid. Sa conception du bonheur glisse sans aspérités sur des formules dont il a le secret, tel «tous les objets peuvent être redessinés sauf les cercueils et les grenades». Comme dit de lui Philippe Starck son fils spirituel: «Si Dieu a créé le monde, Loewy l'a rendu vivable.» Finalement, Loewy aura inventé le petit rien qui fait tout… Son seul regret? «N'avoir pas créé l'œuf, cette forme parfaite.»

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