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Doris Lessing, une romancière engagée

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    • Par Bruno Corty
    • Mis à jourle 18/11/2013 à 12:07
    • Publiéle 17/11/2013 à 18:18
Doris Lessing.

Doris Lessing. Crédits photo : /©Lebrecht/Leemage

La Prix Nobel 2007 est décédée à l'âge de 94 ans. Militante féministe, anticolonialiste et antiapartheid, elle avait traité les réalités africaines au travers de romans autobiographiques

Elle était née sous le nom de Doris May Tayler, le 22 octobre 1919, dans l'ancienne Perse devenue Iran. Ses parents, Alfred Cook Tayler et Emily Maude McVeagh, étaient deux victimes de la Grande Guerre. Lui, ancien capitaine dans l'armée britannique, avait laissé une jambe au cours des combats. Elle, avait perdu son grand amour au cours du même conflit. C'est en soignant le soldat Tayler que cette infirmière d'origine irlando-écossaise vit son destin basculer. Deux ans après sa naissance, Doris eut un petit frère, Harry. La famille s'installa à Téhéran où le père travaillait pour la Banque impériale de Perse. «J'étais une enfant très perturbée, ultrasensible, confessera-t-elle plus tard. J'aurais pu dire que c'était parce que ma mère aimait mon frère et pas moi, mais c'est tellement ­banal. Je pense que mon mal-être tenait davantage du discours répétitif de mon père sur la guerre.» La romancière ­racontera la vie de ses parents en 2008 dans Alfred et Emily (Flammarion).

En 1924, les Tayler quittèrent Téhéran et s'installèrent dans le sud de la Rhodésie, une colonie britannique rebaptisée Zimbabwe en 1980. Le père voulait faire fortune en cultivant maïs et tabac et en cherchant de l'or. Ses rêves furent déçus. Les moustiques, omniprésents, attaquaient les enfants, et Doris souffrit de malaria, de dysenterie, à une époque où les antibiotiques faisaient défaut. En revanche, elle jouissait d'une liberté de mouvement absolue, d'un sentiment de sécurité «qui n'existent plus nulle part de nos jours».

Élevée et éduquée à domicile par sa mère, elle fut ensuite envoyée dans une école catholique de Salisbury, en Angleterre. Après quatre années chez les sœurs, elle finit par se prendre de passion pour la religion catholique, au grand dam de sa protestante de mère. Laquelle lui raconta, par le menu, le sort réservé aux protestants par l'Inquisition. De ce jour, la fillette perdit la foi.

À 14 ans, sa santé recouvrée, elle quitta l'école, voyagea en Afrique australe et se mit à dévorer les classiques de la littérature, de Proust à Virginia Woolf, en passant par Dickens, Tolstoï, Tchekhov. L'écriture devint une autre passion et elle réussit à vendre deux nouvelles à un magazine sud-africain. Tout en continuant à écrire, elle occupa le poste d'opératrice téléphonique à Salisbury. Mais déjà elle rêvait de Londres. Sans moyens financiers, elle se résolut à prendre son mal en patience. Elle épousa, en avril 1939, Frank Charles Wisdom, avec qui elle aura un fils, John, en 1942 et une fille, Jean, un an plus tard.

Prises de position antiapartheid

À Salisbury, elle fit la connaissance de plusieurs anciens pilotes de la Royal Air Force désabusés qui avaient épousé la cause du communisme: «Pour la première fois dans ma vie, je rencontrais un groupe de personnes qui lisaient tout et ne pensaient pas que lire était quelque chose de remarquable. C'était l'ambiance de nos rencontres qui me plaisait avant tout.» Proche des idées communistes, Lessing ne rejoignit le Parti qu'en 1952 et le quitta quatre ans plus tard. Son mariage étant un échec, elle divorça en 1943 et laissa, chose rare à l'époque, la garde des enfants à son mari. La même année, elle se remaria avec Gottfried Anton Nicolai Lessing, un Allemand communiste.

«C'était un devoir révolutionnaire d'épouser quelqu'un dont les origines, durant la guerre, risquaient de lui créer de graves problèmes.» Ils eurent un enfant, Peter, en 1946, et son mari repartit pour l'Allemagne de l'Est. Longtemps après leur divorce, elle découvrit, après son assassinat en Ouganda en 1979, qu'il avait sans doute été un agent du KGB.

En 1949, elle arriva enfin à Londres avec son fils et se lança dans une carrière littéraire. «À l'époque, dira-t-elle plus tard, il était beaucoup plus facile de ­devenir écrivain en Angleterre qu'aux États-Unis, la pression étant moins forte. Personne ne s'attendait à une réussite exceptionnelle et vivre dans la pauvreté n'était pas un péché.» Elle ajoutait que le fait d'avoir à élever un enfant avait été une bénédiction, en l'empêchant de mener une vie dissolue.

Son premier roman, The Grass Is Singing, l'histoire d'une femme de fermier en Rhodésie du Sud, dépressive et fascinée par un employé noir qui finira peut-être par l'assassiner, parut en 1950. Il sera traduit en France chez Plon, trois ans plus tard, sous le titre Vaincue par la brousse . La profondeur psychologique et la maturité de cette première fiction furent saluées par la critique. Le livre (et plusieurs autres par la suite, comme le recueil de nouvelles African Stories, Nouvelles africaines, paru chez Albin Michel) fut considéré, à tort selon Lessing, comme une histoire sur le racisme. On y découvre, en fait, une vision complexe des rapports entre Blancs et Noirs, Anglais et Hollandais, une étude sur la violence et la soumission, la fierté et l'humiliation, la confrontation des cultures. La petite fille de la nouvelle «Le Vieux Chef Mshlanga», double de l'auteur, écrit: «C'est mon héritage aussi ; j'ai été élevée ici ; c'est mon pays aussi bien que celui de l'homme noir ; et il y a suffisamment d'espace pour nous tous, sans que nous ayons à nous bousculer les uns les autres pour nous contraindre à céder le passage.»

Les écrits de Doris Lessing et ses déclarations déplurent au gouvernement blanc de Rhodésie, qui la déclara persona non grata, bientôt suivi par celui d'Afrique du Sud, fâché par ses prises de position antiapartheid. Lessing ne retournera sur les terres de son enfance qu'en 1956. Une terre qui ne cessera jamais de l'obséder. Dans un essai paru en 1992, African Laughter: Four Visits to Zimbabwe, la romancière déplorait la perte de toute vie sauvage, la destruction d'une nature qui avait illuminé ses jeunes années.

Après son premier livre, Lessing entreprit d'écrire une série de romans ambitieux, The Children of Violence (Les Enfants de la violence), dans lesquels elle racontait la vie d'une femme, Martha Quest, fille de fermiers blancs installés en Afrique australe à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Son regard sur la condition féminine annonçait The Golden Notebook  (1962), autre entreprise romanesque ambitieuse qui lui vaudrait l'admiration des féministes et de la critique littéraire. Ce livre ne fut traduit en France qu'en 1976 ( Le Carnet d'or, Albin Michel), mais il obtint le prix Médicis étranger.

Féministes «horribles avec les hommes»

On l'aura compris, l'Afrique, le colonialisme et la cause féministe sont les trois grands thèmes de cette œuvre qui comprend aussi des ouvrages de science-fiction (la série Canopus in Argo, écrite entre 1979 et 1983), des recueils d'essais et de poèmes. À chaque sortie de livre, Doris Lessing désarçonne la critique, suscite la polémique par ses déclarations. Pourtant, cette femme engagée refusa toujours de se laisser cataloguer. «Je déteste cette étiquette qu'on me colle volontiers dans le dos. Je suis un écrivain, c'est tout. Et je n'appartiens à aucun camp. J'aime trop la vérité!» martelait-elle dans la presse. En 2001, au Festival du livre d'Édimbourg, la vieille dame suscita l'émoi en déclarant que les féministes étaient devenues «horribles avec les hommes (…) constamment humiliés et insultés par des femmes stupides, ignorantes et méchantes».

Refusant d'être anoblie par la reine, elle accepta pourtant de recevoir le prix Nobel de littérature, qui lui fut décerné le 11 octobre 2007. Elle prit la distinction, décernée sur le tard (elle avait presque 88 ans), avec humour: «Ils ont pensé, là-bas, les Suédois: celle-là a dépassé la date de péremption, et elle n'en a plus pour longtemps. Allez, on peut le lui donner !» Quelques jours plus tard, elle créait la polémique en déclarant, dans El Pais, à propos des attentats terroristes du 11 septembre 2001: «Ça a été terrible, mais si on se repasse l'histoire de l'IRA, ce qui est arrivé aux États-Unis n'a pas été aussi terrible que ça.»

Le 28 novembre 2007, l'Académie suédoise annonçait que la lauréate ne pourrait se rendre à Stockholm recevoir son prix, pour raison de santé. Son ­discours, préenregistré, fut retransmis le 7 décembre. Et cette fois, pas de provocation mais une magnifique causerie sur la place du livre et le rôle des conteurs dans nos sociétés championnes «de l'ironie et du cynisme» et dans les ­sociétés les plus pauvres, notamment l'Afrique.

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