Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Louis ARAGON, extrait du "Cantique à Elsa"
Comme autour de la lampe un concert de moustiques
Vers le plafond spirale et la flamme convoie
Du fin fond du malheur où reprend le cantique
Dans un fandango fantastique
Un choeur dansant s'élève et répond à ta voix
Ce sont tous les amants qui crurent l'existence
Pareille au seul amour qu'ils avaient ressenti
Jusqu'au temps qu'un poignard l'exil ou la potence
Comme un dernier vers à la stance
Vienne à leur coeur dément apporter démenti
Si toute passion puise dans sa défaite
Sa grandeur, sa légende et l'immortalité
Le jour de son martyre est celui de sa fête
Et la courbe en sera parfaite
A la façon d'un sein qui n'a point allaité
Toujours les mêmes mots à la fin des romances
Comme les mêmes mots les avaient commencées
Le même cerne aux yeux dit une peine immense
Comme il avait dit la démence
Et l'éternelle histoire est celle de Rancé
Saoulé par le grand air il quitte ses domaines
Ayant fait bonne chasse et plus heureux qu'un roi
Son cheval et l'amour comme un fou le ramènent
Après une longue semaine
A la rue des fossés Saint Germain l'Auxerrois
Il voit déjà les longs cheveux et les yeux tendres
De Madame la Duchesse de Montbazon
Il la voit il l'entend ou du moins croit l'entendre
Qui se plaint de toujours attendre
Et lui tend ses bras nus plus beaux que de raison
L'escalier dérobé la porte et c'est l'alcôve
Les rideaux mal tirés par des doigts négligents
Il reconnaît ces yeux que souffrir a fait mauves
Cette bouche et ces boucles fauves
Cette tête coupée au bord d'un plat d'argent
Aveugles chirurgiens qui déchirent les roses
Les embaumeurs entre eux parlaient d'anatomie
Autour du lit profond où le beau corps repose
Qui trouve son apothéose
Comme le pain rompu la blancheur de sa mie
Au cloître que Rancé maintenant disparaisse
Il n'a de prix pour nous que dans ce seul moment
Et dans ce seul regard qu'il jette à sa maîtresse
Qui contient toutes les détresses
Le feu du ciel volé brûle éternellement
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Ce moment de Rancé sur le seuil de la chambre
Qui ne l'a fût-ce un soir vaguement éprouvé
Et senti le frisson glacé comme un décembre
Envahir son coeur et ses membres
A-t-il aimé vraiment a-t-il vraiment rêvé
Un soir j'ai cru te perdre et chez nous dans les glaces
Je lisais les reflets des bonheurs disparus
Ici tu t'asseyais c'était ici ta place
De vivre étais-tu donc si lasse
On entendait siffler un passant dans la rue
Un soir j'ai cru te perdre et de ce soir je garde
Le pathétique espoir d'un miracle incessant
Mais la peur est entrée en moi comme une écharde
Il me semble que je retarde
A tenir ton poignet la fuite de ton sang
Un soir j'ai cru te perdre Elsa mon immortelle
Ce soir mortel pour moi n'a jamais pris de fin
Nuit d'un Vendredi-Saint que tes grands yeux constellent
La mort comme la vie a-t-elle
La saveur de l'ivresse ô mon verre de vin
Cauchemar renaissant souvenir tyrannique
Il éveille en mon coeur des accords souterrains
Il déchaîne à l'écho tout un jeu d'harmoniques
D'autres soirs et d'autres paniques
Les couplets interdits dont il est le refrain
Le beau corps déchiré gisait dans sa demeure
On entendait pleurer tout bas dans les fossés
On entendait parler tout haut les embaumeurs
Mon pays faut-il que tu meures
Et tout un peuple avait le regard de Rancé
Tu vivras Nous voici de retour de la chasse
C'est assez de sanglots emplir notre logis
Ils ont voulu pourtant que nos mains te touchassent
O Sainte déjà dans ta châsse
Ecartez-vous de moi Démons Analogies
Le deuil que dans mon sein comme un renard je cache
Dites si vous voulez qu'il n'est pas de saison
Le sens de ma chanson qu'importe qu'on le sache
Puisque règne aujourd'hui la hache
Que venez-vous parler au nom de la raison