Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Voyages (dans le sud de l'Amérique du Nord)
William Bartram
collection Biophilia n°5 | Corti, février 13
édition naturaliste établie par Fabienne Raphoz | Illustrations en couleur
William Bartram (1739-1823) fut et reste l’un des premiers et l’un des plus grands naturalistes américains. Sa renommée, toujours immense aux États-Unis, il la doit à ses Voyages (1775-1778) qui demeurent l’un des livres les plus étonnants du 18 ème siècle (il fut traduit en France au moment de la Révolution).
William Bartram, sans le savoir, est un précurseur, car ses Voyages constituent un témoignage de première main sur des régions encore inexplorées du Nouveau-Monde (les deux Caroline, la Georgie et la Floride du Nord). Son apport sera décisif pour certaines disciplines (géographie, histoire naturelle, anthropologie, ornithologie, botanique). Ses descriptions précises, subtiles de la nature, des paysages, des Indiens, de la flore, des animaux, du vivant en général, anticiperont une nouvelle façon de voir et de parler du monde. S’il est surtout connu en Europe pour avoir inspiré Chateaubriand et les romantiques anglais (Wordsworth et Coleridge, notamment), son œuvre aura une influence non négligeable sur les écrivains américains de la nature, Emerson, Thoreau, etc.
William Bartram est aussi un visionnaire, car bien avant que les idées de Darwin aient conquis les esprits, il a l’intuition que l’observation du monde permet de l’appréhender et de donner à chaque chose sa place dans le cycle de la vie, d’où son respect des Indiens, sa condamnation de l’esclavage, son amour de la nature et sa défense des animaux.
Pour toutes ces raisons, la collection Biophilia accueille la première édition naturaliste des Voyages de Bartram dans la traduction d’époque remaniée. Elle comprend en outre un cahier en couleur de ses dessins et des photos prises sur le terrain de quelques paysages typiquement bartramiens d’aujourd’hui.
W.P. Inman, le héros de Cold Mountain, grand roman sur la guerre civile de Charles Frazier avant de devenir un film à succès, lit les Voyages de William Bartram. Livre mythologique sur l’Amérique que Frazier compare à Melville. Un voyage à travers les huit colonies du Sud, notamment la Floride, les deux Carolines et la Géorgie avant même que n’existent les États-Unis. Bartram est le premier naturaliste américain né sur la terre américaine ; en 1739 à Kingsessing, alors un village à côté de Philadelphie. Ses récits ne sont pas aussi connus que le grand classique de Lewis et Clark ou les livres de John Muir ou Audubon, mais Bartram appartient à la légende américaine. Des markers (bornes), des sentiers bien balisés, des circuits en canoë entretenus par ses fans et des sociétés savantes suivent ses périples. Comme le dit Fabienne Raphoz dans sa savante et plaisante introduction à la nouvelle édition française de ses Voyages, « malentendu ou pas, l’histoire des États-Unis est liée dès l’origine à l’histoire naturelle ». Bartram lorsqu’il expIore la Floride d’alors et les territoires indiens découvre un espace vierge. Quelques colons, quelques aventuriers ou trappeurs sont installés le long des rares routes ou fleuves navigables. Les Espagnols sont partis, laissant quelques fortins à moitié détruits.
Respect.
Bartram n’est pas un conquérant. Il raconte une Amérique qu’il veut innocente, protégée des hommes, de leurs industries et de leurs querelles. Il ignore ainsi superbement la guerre d’indépendance pourtant contemporaine de ses explorations. Bartram aime les plantes et les animaux. Il porte un respect immense, et exceptionnel en ce temps, aux populations indiennes rencontrés et qui bientôt disparaîtront. José Corti publie justement cette édition dans sa très belle collection
« Biophilia » dédiée à « l’amour du vivant ».
Pour Bartram né en 1739 dans une famille de quaker, le genre animal vaut le genre humain, tous êtres vivants et créatures du bon Dieu. Il aime les grenouilles comme les alligators, les mouches comme les dindons sauvages. Il raconte comme un immense serpent, dit fouet de cocher, l’a accompagné durant des milles et comment le reptile s’intéressait à ce voyageur venu de si loin.
Un Indien séminole le surnomme « puc puggee », celui qui ramasse des fleurs. Et durant ses quatre ans d’aventures, Bartram collectionnera flore et faune. Il dessine, peint, décrit avec un soin maniaque tous les végétaux et animaux qu’il rencontre, découvrant au passage des dizaines de spécimens alors inconnus. L’édition de Corti est accompagnée d’un portfolio de ses gravures de grues et hérons, de lotus d’Amérique ou de tortues molles à épines qui seront, à l’époque, autant de découvertes pour les botanistes ou ornithologues.
Le destin de ses Voyages sera immense. Bartram revient en janvier 1777 à Philadelphie dans la ferme familiale. Il attendra près de quinze ans pour publier en 1791 ses Voyages qui eurent un immense succès, notamment en Europe. Inspirant les poètes romantiques anglais dédiée comme Coleridge et Wordsworth, qui tous deux rendent hommage au voyageur du Nouveau Monde. Comme l’écrit Fabienne Raphoz, « aux yeux des poètes anglais, que fait Bartram ? Ni plus ni moins, mais c’est ça la beauté poétique et l’extrême difficulté du “ni plus ni moins” que d’exposer le paysage tout en étant inspiré par lui, pas seulement sur le motif, face à l’espace paysage mais aussi en temps réel ». Et d’ajouter : « Le paysage est découvert et décrit, dans sa virginité première, à l’état naissant. » Thème romantique, s’il en fut.
« Atala ».
Le livre fut aussi traduit en français et le texte de Corti reprend, tout en le corrigeant et le précisant, celui de l’époque. Bartram inspire notamment Chateaubriand. Atala, son grand roman américain, hymne au bon sauvage, reprend des passages entiers de Bartram sans le citer, transposant les scènes de Floride en Louisiane. Le vicomte se retrouvait dans le lyrisme extatique sur la nature sauvage de son prédécesseur en Amérique. Les deux éditeurs de Corti ont poussé leur pas- sion jusqu’à revenir sur les traces de Bartram. Ce que Fabienne Raphoz et Bertrand Fillaudeau appellent le voyage dans le voyage. Ils publient ainsi leurs photos d’aujourd’hui de la rivière Altamaha ou de Savannah et des animaux qui peuplent maintenant leurs eaux ou leurs prairies et que leur héros avait parcourues. Une Floride ou une Georgie sans station-service ou publicités ; ils rencontrent pêcheurs et passionnés de Bartram qui entretiennent cette idée fondatrice et mythique, d’une Amérique innocente, à l’état de nature.
François Sergent, | Libération |28 février 2013
Comment était l’ouest des États-Unis au XVIIIe siècle ? Même si l’on sait la guerre d’indépendance, la constitution de 1787, un voile d’ignorance couvre nos yeux. Il faut se plonger dans les pages généreuses d’un auteur qui inspira Chateaubriand, Coleridge, Thoreau : William Bartram (1732-1823). C’est entre 1775 et 1778 qu’il parcouru les espaces inexplorés des Caroline, de la Géorgie et de la Floride, entre marais et montagnes boisées, où « des masses de rochers feuilletés se fendent continuellement et tombent », mais aussi un pays « qui promet de faire, lorsqu’il sera cultivé par d’industrieux habitants, une heureuse, riche et fertile contrée ». Hélas, on se livre au « jeu barbare » de « casser la tête » d’un louveteau...
Cette encyclopédie du voyage patient, attentif et ravi devant une flore, une faune, vastes et précieuses, se double d’une réelle empathie envers les habitants : Cherokees ou Séminoles, colons européens, esclaves noirs... On connaît alors le « gouvernement de Indiens », le voyageur acquiert « sagesse et entendement en contemplant l’œuvre du créateur et les rouages de la nature ».
Dernier-né de la collection « Biophilia », ce volume vert est un témoignage notable autant de l’esprit des Lumières que du naturaliste fureteur dans la tradition de Buffon, sans compter un souffle préromantique dans le lyrisme des descriptions de la nature sauvage. La superbe édition est nantie d’index divers, illustrée des dessins de l’auteur, d’un cahier de photographie où Bertrand Fillaudeau et Fabienne Raphoz suivent ses traces.
Thierry Guinhut | Le Matricule des Anges | n° 141, mars 2013
L'écrivain britannique Thomas Carlyle, le « sage de Chelsea », écrivait à cet autre sage, son ami américain Ralph Waldo Emerson : « Connaissez-vous les Voyages, de Bartram ? Toutes les bibliothèques américaines devraient posséder ce genre de livre et le tenir pour une bible. » William Bartram (1739-1823), l'un des plus grands naturalistes de l'Amérique du Nord, décrivit des régions de ce continent jusqu'alors inexplorées ; il fit ainsi oeuvre utile - ses descriptions sont d'une merveilleuse précision - mais aussi oeuvre de poésie : il donne à voir et à sentir. « Rosée abondante ce matin journée translucide vent du sud très chaud tête-rouge (Picus criocephalus)... » Suit une liste, parmi beaucoup d'autres, de noms d'oiseaux dont les seules sonorités font rêver. Qu'est cette Hirundo pelasgia,ou cette Fringilla palustris qui arrivent sous nos yeux ? Wordsworth et Coleridge ne s'y trompèrent pas, qui trouvèrent dans ces écrits les deux éléments cardinaux formant « la poésie de la nature ».
On éprouve en le lisant l'élan que donne la découverte. « Ce monde, telle une chambre glorieuse du palais sans limite du Créateur souverain, meublée d'une infinie variété de scènes animées, belles et plaisantes au-delà de toute expression, est ouvert à la jouissance de toutes ses créatures sans distinction. »
Le Monde | Christine Jordis | 29 03 13
Soyez du Voyage, un des récits les plus étonnants du XVIIIe siècle. Devenez un émule de Puc Puggy, un « cueilleur de fleurs ». C’est ainsi que les Indiens Séminoles avaient surnommé William Bartram. Cet étrange mais charmant personnage a arpenté leurs terres la fleur aux dents. À pied, à cheval, en barque, Bartram a quadrillé cet immense sud de l’Amérique du Nord.
William Bartram a effectué ce voyage entre 1773 et 1776. Le plus souvent seul, rejoignant de temps à autre le monde « civilisé », accompagné par les Creeks, les Séminoles, les Cherokees, il mène avec détermination son exploration du Nouveau Monde. Pendant qu’il court après le « Juniperus Americana » ou le moucheron vert, il exulte en marge de la déclaration d’indépendance des Treize Colonies britanniques d’Amérique du Nord. S’il lui est demandé de participer aux séances du Congrès, c’est la Floride, la Géorgie et les deux Caroline encore vierges qui l’obsèdent comme un paradis à portée de musette. La nature dans sa globalité (de l’homme au plus minuscule insecte) est la proie par excellence de cet Indiana Jones qui voit le bien un peu partout, sous le canon du fusil d’un Indien Creeks, en pleine bagarre à la rame contre une noria de crocodiles, quand un serpent à sonnette se lance dans une langoureuse danse du ventre à deux pas de son installation de fortune…
Suivre la marche de Puc Puggy est une formidable aventure humaine et scientifique. Il suffit de cueilIir des fleurs bien sûr et leur donner un nom, les dessiner, les classer dans une nomenclature initiée par un autre naturaliste, le Français Linné. Marcher avec William Bartram c’est suivre la course des étoiles et les états d’âme d’un homme simple, un quaker, le premier et l’un des plus grands naturalistes américains. Bartram, dont on ne connaît qu’un portrait en pleine fleur de l’âge, pommettes rosies et regard doux comme l’aile d’un héron, est un scientifique de haut vol mais aussi un baba cool sans la révolte de Kerouac, un humaniste peace and love respectant les Indiens, un chercheur avide de toutes les pépites de la nature.
La vocation de mettre le vivant au cœur d’éclairages ou de rêveries transdisciplinaires anime le nouvel espace littéraire « Biophilia » de l’éditeur Corti. Il nous donne à (re)lire l’épopée des Voyages dans la traduction d’époque remaniée. Ses descriptions précises n’ont rien d’un ramassis de noms barbares pour épingler la grenouille des terres hautes, l’écureuil gris, la tortue molle dont il livre au passage de succulentes recettes, les innombrables arbres et fleurs découverts comme la pulpeuse « Franklinia alatamaha ».
S’il est surtout connu en Europe pour avoir inspiré Chateaubriand et les romantiques anglais, Bartram aura surtout une influence sur les écrivains américains de la nature comme Thoreau. C’est un visionnaire : bien avant que les idées de Darwin aient conquis les esprits, il a l’intuition que l’observation du monde permet de lui donner un sens, d’où son respect des Indiens, sa condamnation de l’esclavage, sa défense des animaux et de la nature.
Dominique Legrand, Le Soir, 13-14 avril 2013
Les carnets minutieux de Bartram, naturaliste éclairé du XVIIIe siècle, sur son périple en Amérique du Nord inspirèrent les romantiques. Le charme perdure.
« Connaissez-vous les Voyages de Bartram? [...] Toutes les bibliothèques américaines devraient posséder ce genre de livre [...] et le tenir pour une bible », écrivait, en 1851, le poète écossais Thomas Carlyle au philosophe américain Emerson, son ami. Environ un siècle plus tôt, le dénommé William Bartram (1739-1823), fils d’un naturaliste quaker des environs de Philadelphie assez célèbre pour avoir donné son nom au plus ancien jardin botanique d’Amérique du Nord existant à ce jour, effectuait dans le sud-est du continent nord-américain – dans les états de Géorgie, Caroline du Nord et du Sud, Floride – un périple exploratoire long de quatre années. En bateau ou à cheval, seul souvent, accompagné parfois le temps de quelques jours, quelques semaines, William Bartram allait, tout au long des années 1773-1776, arpenter ces lieux parfois vierges de toute exploration coloniale, et consigner dans ses carnets une quantité stupéfiante de notes scrupuleuses, observations et croquis, menant le recensement de la flore et la faune, scrutant la topographie des paysages traversés. Dressant ainsi, en quelque sorte, l’inventaire naturaliste de la future nation américaine que la guerre d’indépendance n’allait pas tarder à enfanter. Se penchant par ailleurs sur les mœurs des populations amérindiennes avec la même curiosité, les mêmes ferveur et bienveillance qu’il mettait à regarder les fleurs ou les oiseaux. De cette collecte d’informations, William Bartram allait nourrir Voyages, une somme naturaliste qui, au XIXe siècle, connut son heure de gloire – elle est devenue une référence pour les poètes romantiques anglais, de Wordsworth à Coleridge, pour Chateaubriand, qui y aurait notoirement puisé certains paysages d’Atala, pour Thoreau et ses Forêts du Maine, son Cape Cod, auxquels, lisant Voyages, on pense parfois.
Qu’est-ce donc qui, aujourd’hui, peut nous attacher à cette prose minutieuse, qui ne se veut pas d’abord poétique mais scientifique ? Et qui l’est, scientifique et précise – rien n’y manque, dans les moindres détails, de la couleur des sols, de la précieuse structure des fleurs observées l’une après l’autre comme à la loupe, de la couleur orange de l’intérieur de l’ouïe de tel poisson, du bleu d’outremer de ses branchies, du blanc moucheté de brun du ventre de telle grenouille de Floride, du bec « courbé en dessous comme une faulx » du pélican...
Au-delà de l’effet de réel saisissant produit par ses descriptions méthodiques, de l’enchantement qui naît parfois au détour d’une page, lorsque s’étale par exemple, au pied d’une colline verte, un champ de fraises, ou que serpente, dans une vallée, un ruisseau « comme une nappe de cristal », Voyages offre aussi une prise directe avec la sensibilité et l’intelligence d’un homme du XVIIIe siècle, un esprit, si éloigné du nôtre, chez lequel les dispositions scientifiques et religieuses se concilient encore sans antagonisme. « Quelle puissance ou quelle faculté dirige les vrilles de la Courge, de la Vigne, de la Momordica, et des autres plantes grimpantes vers les rameaux de l’arbre qui peut les soutenir ? [...] Est-ce un instinct aveugle qui les conduit, ou la main du Tout-Puissant prend-elle, elle-même, la peine de les guider ? », interroge William Bartram – du moins fait-il mine d’interroger, car lui, qui se définit comme appartenant à « la secte chrétienne de ceux qu’on appelle les quakers », détient évidemment la réponse... Cette même appartenance, qui amenait le naturaliste américain à se déclarer « contre la violence et la guerre sous quelque forme que ce soit », dicte l’empathie qu’il ressent vis-à-vis des animaux. Commande aussi l’intérêt et la compassion qu’il éprouve pour les modes de gouvernement, les rituels, la relation au divin de ses « frères indiens ».
Nathalie Crom | Télérama | 15 mai 2013
http://www.jose-corti.fr/Lescollections/Bio5_Bartram_Voyages.html