Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
« Le Bloc », un polar qui se risque dans la peau de fascistes
Paru en début d’automne, le roman « Le Bloc » fait débat, tout en étant symptomatique d’un changement de braquet du polar français. Ce roman marque l’entrée dans la prestigieuse Série noire de Gallimard de Jérôme Leroy, écrivain de gauche (il eut sa carte au PC) dont certaines inspirations sont à rechercher chez les Hussards (conservateurs) autant que chez Philip K. Dick et Frédéric Fajardie.
La majeure partie de son œuvre est constituée de romans d’anticipation, parmi les meilleures fictions sur le chaos libéral présent et à venir.
« Le Bloc » débute par cette phrase :
« Finalement, tu es devenu fasciste à cause du sexe d’une fille. »
Les narrateurs et héros du livre sont deux militants d’extrême droite. L’un d’entre eux est d’origine ouvrière et communiste. Le second fait partie de cette ancienne gauche réactionnaire qui est passée au FN. Les deux dessinent l’histoire de l’extrême droite nationaliste depuis 25 ans, comme le raconte l’auteur dans ce « teaser ».
Le polar français victime du complexe Ellroy
De Jean-Marie Le Pen qui recolle entre elles les différentes familles de l’extrême droite en 1972 à la prise de pouvoir par sa fille Marine, en passant par la scission de 1999, les morts de Poulet-Dachary ou Stribois et les mouvements skinheads, toute l’histoire du Front national est dans « Le Bloc ». Evénement par événement.
Les noms sont remplacés (les Le Pen deviennent les Dorgelles, la composition de la famille est légèrement modifiée), mais tout y est.
« Le Bloc » est donc un roman historique à clés, qui pointe la crise d’identité politique de la France depuis trente ans ; mais c’est aussi une course contre la montre implacable (le livre se déroule en un jour et une nuit).
Malgré un traitement intelligent et un scénario impeccable, l’auteur tombe pourtant dans le même piège que bien d’autres polars politiques français : le complexe d’« ellroyisation ».
L’Américian James Ellroy est devenu, à juste titre, le modèle des romanciers voulant se saisir d’une affaire d’Etat. Mais les législations américaines et française divergent (en France, on ne peut mettre les vrais noms des protagonistes sans risquer le procès ; aux Etats-Unis, si). Et la langue et la psyché américaines ne prennent pas de gants, mais un scalpel. Cependant qu’en France, la tradition littéraire est faite de détours et de métaphores, ce qui diminue la puissance lorsqu’il s’agit de traiter le réel.
Un héros facho
Pour autant, ce roman témoigne aussi d’un changement dans le polar français. Né du roman noir post-1929 de Dashiell Hammett et Raymond Chandler, le néo-polar (dont le pape était Manchette) était social et antifasciste. Une tradition poursuivie dans les années 90 par Izzo, Le Poulpe, Quadruppani, etc.
L’évolution de la militance, les mouvements sociaux et la disparition des frontières entre les partis ont fait évoluer le polar français. Et pour comprendre le fascisme, le polar se risque dorénavant à l’empathie. C’est ce qui, dans « Le Bloc », a séduit Aurélien Masson, qui préside à la Série noire depuis 2004.
De l’anti à l’empathie
Le néo-polar refusait de se mettre dans la peau des fascistes pour ne se mettre du côté que des « justes ». Seul Manchette se risquait à camper des anciens légionnaires. Pour Jérôme Leroy :
« Ce tabou est profondément ridicule. Faut-il avoir peur de je ne sais quel politiquement correct ou prendre son lecteur pour un idiot pour reculer devant ce défi ? L’auteur n’est pas le narrateur, doit-on rappeler cette évidence ?
Doit-on rappeler aussi que l’empathie nécessaire méthodologiquement n’est pas de la sympathie ? Manchette, celui de “L’Affaire N’Gustro” notamment, avait déjà répondu à cette question il y a... quarante ans ! »
Pour Aurélien Masson, il s’agit pourtant d’« un continuum du néo-polar » :
« Jérôme Leroy parle aussi du délitement individuel, accompagné de celui des structures qui nous tiennent. […]. On reste dans le roman critique et perturbant. C’est le livre antifasciste du moment. »
Si « Le Bloc » n’est pas un roman parfait, son auteur a le mérite de s’être hissé à la hauteur du défi qu’il s’était imposé : se mettre dans la peau de deux fascistes. En cela, « Le Bloc » ouvre une nouvelle voie au polar français, celle de l’après-Poulpe.
http://www.rue89.com/2011/11/28/le-bloc-un-polar-qui-se-risque-dans-la-peau-de-fascistes-226895