Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Flaubert total
8/1/14 - 15 H 48
ŒUVRES COMPLÈTES
de Gustave Flaubert
Editions Gallimard, coll. « Bibliothèque de La Pléiade »
Tome II : 1845-1851, 1 680 p., 65 €
Tome III : 1851-1862, 1 360 p., 67 €
Quand le travail des spécialistes sera achevé, les œuvres complètes de Gustave Flaubert (1820-1880) occuperont dix volumes de la célèbre et irremplaçable Bibliothèque de la Pléiade. Des milliers et des milliers de pages ! Cinq volumes pour la seule correspondance. Cinq autres pour les romans, fantaisies, pièces de théâtre, récits de voyages et aussi variantes, projets abandonnés, scénarios, essais sans lendemain, épisodes retranchés…
Ce gigantesque corpus a été, depuis plus de cent trente ans, fouillé, analysé, décortiqué par des brigades d’experts. Au point que l’on peut se demander ce qu’il reste à découvrir autour de l’œuvre et de la vie de celui qu’on a baptisé (un peu vite) l’« ermite de Croisset ».
Les deux volumes qui viennent de paraître et qui font suite à celui des Œuvres de jeunesse, seront ultérieurement complétés par deux autres qui concerneront les années 1863-1880. Et c’en sera fini. Fini ? Sûrement pas car l’érudition est un puits sans fond et quand une équipe se mêle de désosser, avec passion et compétence, l’œuvre d’un seul, cela donne un impressionnant ballet autour du défunt… (1).
Ne nous plaignons pas si, génération de chercheurs après génération de chercheurs, il se trouve toujours des trouvailles nouvelles à révéler, des pistes inédites à emprunter. S’il s’agissait de n’importe quel quidam de la plume, on aurait vite fait le tour. Mais Flaubert n’est pas de ces falots qui, comme il le dit de Charles Bovary, avaient une pensée « plate comme un trottoir ».
Non, il a d’emblée vibré à tous les mystères et malheurs de l’existence, il a connu les joies et délires de l’adolescence frondeuse et potache, il a voulu s’ouvrir tous les horizons du voyage (de la Bretagne à l’Orient), il a souffert dans sa chair d’une maladie (l’épilepsie) qui l’a poussé à refréner les instincts de sa vitalité…
Il a connu un parcours semé de deuils et de passions excessives. Il a subi, vers la fin de sa vie, une déroute financière qui poussera ce rentier bien doté à envisager, horresco referens !, de travailler pour gagner sa vie. Il a dévoré des milliers de livres. Écrit et raturé de ses plumes enfiévrées des dizaines de milliers de pages que s’arrachent aujourd’hui les bibliothèques, les collectionneurs.
Il a tempêté contre une époque, la sienne, qu’il n’aimait pas, faisant mine de lui préférer celles du Moyen Âge, ou de Carthage. Il a connu bien des femmes, des poétesses aux prostituées, de Louise Colet (collante) à George Sand (sorte de mère de substitution). L’actualité de son temps ne l’a pas beaucoup mobilisé, cet homme foncièrement conservateur (la rente…) n’aimant pas les conservateurs qui tenaient les manettes de la France. Ni les socialistes, trouvant tout ce monde du dernier stupide.
De ce colosse, au physique comme au mental, il est resté une vie que l’on peut qualifier de pas très gaie, en dépit des blagues de beuveries prétendument poétiques. Mais il est resté une œuvre prodigieuse dans sa variété et son inventivité. La trace en est encore visible aujourd’hui dans les lettres françaises et autres (le Japon le révère). On a pu dire de lui qu’il avait inventé le roman moderne. Pas seulement ! Il a inventé une écriture d’une perfection, parfois, à couper le souffle. Au point que c’est en tremblant que beaucoup se sont mis à écrire après lui.
À relire deux des œuvres publiées dans ces volumes de la Pléiade (il faudrait des mois pour les ingurgiter en entier, notes comprises), on comprend mieux quelle fut l’évolution de ce style. La première est Par les champs et par les grèves, écrite avec son ami Maxime du Camp, à l’âge de vingt-cinq ans. Chapitres impairs, Flaubert ; chapitres pairs, Du Camp. La différence éclate et l’on peut se contenter des chapitres impairs. Ils portent déjà la marque d’un travail sur les mots et les phrases, sans toutefois qu’aient entièrement disparu les tics potaches d’un jeune homme se moquant de tout ce qui a précédé son arrivée sur terre.
Deuxième relecture : Madame Bovary. Voilà un roman qu’on peut avoir lu dix fois mais qui, à la onzième, apparaît toujours dans sa prodigieuse nouveauté et fraîcheur. L’on confesse volontiers être tombé à la renverse d’admiration, une nouvelle fois. Ne vous privez pas à votre tour, de replonger dans cette langue admirable, dans ce style rythmé, dans les alternances d’un destin plat et triste, le tout constituant une pépite de l’intelligence humaine quand elle se fait plume, et rien que plume.
BRUNO FRAPPAT
8/1/14 - 15 H 48
http://www.la-croix.com/Culture/Livres-Idees/Livres/Flaubert-total-2014-01-08-1086466