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Catégories : CELLES QUE J'AIME, Des femmes comme je les aime

Idith Zertal, prophète en son pays

Inquiète d’une dérive du sionisme qui légitime l’intensification de la colonisation israélienne, cette historienne promeut, à contre-courant, la pensée de la philosophe Hannah Arendt.

 

9/1/14 - 09 H 48

Idith Zertal s’est trouvé une mission : promouvoir les écrits de Hannah Arendt.

Idith Zertal s’est trouvé une mission : promouvoir les écrits de Hannah Arendt.

(D.R.)

Idith Zertal s’est trouvé une mission : promouvoir les écrits de Hannah Arendt.

 

(D.R.)

Idith Zertal s’est trouvé une mission : promouvoir les écrits de Hannah Arendt.

Sa voix résonne dans le désert. Ses livres attirent des foules de lecteurs et soulèvent la colère des gouvernants. Mais rien ne change en Israël. L’occupation des territoires palestiniens s’intensifie. La peur dirige le peuple. Peur de l’ennemi, de l’extérieur, de l’autre. L’ombre de la Shoah obscurcit l’espérance. Les dirigeants prônent la force pour tenir en respect les adversaires de l’État.

Telle est, en tout cas, la vision de l’historienne Idith Zertal. Ses parents, installés dans un kibboutz « gauchiste-socialiste » au sud de Haïfa, appartenaient au mouvement de Hashomer Hatzair (« la jeune garde »), créé en Pologne en 1913, qui pronait l’idée d’un État binational où cohabiteraient en égaux les citoyens juifs et arabes. La Shoah a mis fin à ce rêve, minoritaire dès le début. Les catastrophes n’apprennent pas la confiance, l’ouverture et la générosité envers l’autre, déplore l’historienne. Pour elle, c’est du traumatisme de la Shoah qu’est née la course aux armes israélienne, le choix de la force face à des problèmes politiques.

Dans le silence de la Shoah

Le père d’Idith Zertal combattit durant la Seconde Guerre mondiale sous l’uniforme anglais, puis s’en alla porter assistance aux rescapés de l’Holocauste en Europe. « Il travaillait pour les survivants, pour les secourir, les rendre à une vie normale, contre leur instrumentalisation, explique-t-elle. C’est le sujet de ma thèse de doctorat. » Née au sortir de la guerre, Idith Zertal a été élevée, comme toute sa génération, dans le silence qui enveloppait la Shoah. 

On ne bâtit pas un nouveau pays, combatif, avec des récits de destruction. Ce complexe historique et politique immense donna matière à son premier livre, Des rescapés pour un État (1). Elle y explique comment l’immigration clandestine fut aussi un instrument de pression politique à l’intérieur du mouvement sioniste et contre la puissance mandataire britannique. Plus tard, son grand livre La Nation et la Mort (2) a traité le sujet de la mémoire de la Shoah, organisée, transmise et appliquée ultérieurement, selon elle, pour devenir la religion laïque du pays, son identificateur ainsi que son arme politique la plus efficace. Ce classique a été publié en huit langues.

Doctorante à plus de 50 ans

Idith Zertal a folâtré avant de trouver les bancs de l’université. Musicienne adepte de la flûte traversière, journaliste à Davar, le quotidien du syndicat Histadrout, puis à Haaretz, journal libéral de gauche, elle a trouvé sa voie en décrochant un doctorat « contre toute attente à plus de 50 ans ». Ses recherches et ses enseignements l’ont menée à Chicago, Paris, Bâle. Professeur d’histoire, elle a aussi enseigné à l’Université hébraïque de Jérusalem et au Centre interdisciplinaire de Herzliya, une université privée.

Avant-hier, elle a donné à l’Université hébraïque une conférence sur Hannah Arendt et Martin Heidegger. Un sujet sulfureux, puisque, selon Idith Zertal, en écrivant sur le criminel nazi Adolf Eichmann dans son livre Eichmann à Jérusalem, Hannah Arendt aurait aussi visé son maître à penser, qui avait succombé au nazisme. Idith Zertal s’est trouvé une mission : promouvoir les écrits de Hannah Arendt, figure emblématique d’un judaïsme moderne, laïque, culturel et antinationaliste.

Traduire et écrire pour dénoncer

 « Pendant des années, elle a été excommuniée en Israël, perçue comme une menace pour la robustesse sioniste, pour la mobilisation idéologique, tout comme Socrate était perçu par les Athéniens comme celui qui semait la confusion et le désarroi parmi les jeunes, assure l’historienne. Son analyse sur le procès Eichmann et sa vision d’un totalitarisme exterminateur s’incarnant dans des hommes ordinaires ont choqué les esprits. Elle représentait pour certains un tel danger intellectuel et moral qu’elle a été plongée dans l’oubli. » Idith Zertal l’en exhume en faisant traduire ses œuvres en hébreu. Elle-même a traduit Les Origines du totalitarisme. Elle se réjouit de la sortie, ces jours-ci, de La Condition de l’homme moderne.

 « Hannah Arendt était pour une fédération des juifs et des Arabes », rappelle-t-elle. « Elle craignait l’État-nation, qu’elle jugeait toujours en danger de devenir fasciste et totalitaire. » Le dernier livre d’Idith Zertal, Les Seigneurs de la terre (3), coécrit avec le journaliste Akiva Eldar, pointe précisément l’une de ces menaces. Celle des colons qui occupent les collines de Cisjordanie au nom d’une vision messianique, niant aux Palestiniens le droit de vivre librement sur cette terre… L’historienne dénonce cette dérive extrême de l’idéal pionnier. « Attention, quand je critique, je vise le régime, l’État, précise-t-elle toutefois. Le pays, lui, est plein de talent, de créativité, de passions et de bonnes gens. C’est mon pays que j’aime. » 

 L’humanisme de Hannah Arendt 

 « Je n’ai pas rencontré Arendt, mais j’ai vécu comme elle un temps à New York, sur les rives de l’Hudson », raconte Idith Zertal en évoquant la philosophe. « Elle nourrit mon travail. Elle est omniprésente dans mes lectures et dans mon écriture. Mon prochain ouvrage portera sur l’objection de conscience et sa réflexion l’irrigue : comment des crimes monstrueux, ceux de la Shoah, ont pu être commis par des gens qui n’étaient pas diaboliques mais des pères de famille normaux, ordinaires. Si Arendt était davantage connue en Israël, je pense que beaucoup deviendraient mensch, un terme yiddish qui signifie humaniste, digne, noble. Nous serions davantage capables de nous représenter la souffrance et l’existence de l’autre. » 

JEAN-CHRISTOPHE PLOQUIN

(1) Calmann-Lévy, 2000, 390 p., 27,95 €.

(2) La Découverte, 290 p., 12 €.

(3) Seuil, 490 p., 25 €.

 
 

9/1/14 - 09 H 48

http://www.la-croix.com/Culture/Actualite/Idith-Zertal-prophete-en-son-pays-2014-01-09-1086796

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