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Cosa Mentale, Paysage(s) : 40 ans d'évolution de la notion du paysage

Réunissant près de 70 artistes européens et du continent nord-américain, le cycle Cosa Mentale, Paysage(s) explore la notion du paysage des années 1970 à nos jours à travers un ensemble d'expositions de 2012 à 2013. Christine Ollier, commissaire générale de l'exposition et directrice de la Galerie Les Filles du Calvaire, s'exprime sur la portée de ce projet titanesque. 

© Ellen Kooi, Bergen-Duinhuis, 2009 - Photographie couleur sous diasec

 Musée de La Roche-sur-Yon

Photographie.com :  L'exposition Cosa Mentale propose-t-elle la un regard français - mais non hexagonal - sur la mutation internationale du paysage ?  

C'est en partie vrai, car la scène française est importante dans cette sphère. J'ai en tout cas souhaité replacer les artistes dans une perspective historique (même si l'histoire est récente) et mettre en lumière de manière pertinente les différents artistes indépendamment de la place qu'ils peuvent occuper sur la scène internationale.

Ce cycle met effectivement en lumière la scène européenne dans sa globalité et les français y ont une place importante car elle est pleinement justifiée. Leurs démarches sont incontournables.

De plus, il faut remarquer que je suis partie des collections françaises. Celles-ci possèdent de façon relativement systématique des pièces importantes de toute la scène européenne ou presque (il y a toujours des manques mais en fait pas tant que cela si on va à l'essentiel).  Et bien sur, ces collections reflètent très bien les photographes français, hormis pour les plus récents.

© John Davies, Série Rhondda Fach, 1993 / Musée de La Roche-sur-Yon

Cela me semble important de montrer des artistes français, car la scène contemporaine ne s'est intéressée à la photographie que très récemment (fin des années 90), et plutôt en fonction d'un marché. Forcément, certains artistes vont être plus reconnus que d'autres, et pas pour une question de qualité mais de visibilité et d'importance de leur marché d'origine. Autrement dit, un Américain ou un Allemand bénéficie, quasiment à tous les coups, de beaucoup plus de reconnaissance. C'est encore plus vrai dans le secteur photographique, car les Allemands et les Américains sont intronisés depuis longtemps à l'international alors que les Français ou les Italiens, par exemple, sont restés minorés longtemps et de manière assez injuste à mon sens.

Remédier à ce contexte est un des paramètres de mon travail depuis toujours au sein de la galerie (ou dans d'autres expositions thématiques que j'ai pu concevoir), car nous faisons un gros effort de représentation pour les Français mais aussi pour les Anglo-saxons, ainsi que pour des artistes belges ou italiens.

© Claire Chevrier

Photographie.com : Y a-t-il un enjeu aujourd'hui en matière de photographie de paysage ? Y a-t-il encore des choses à faire / à réinventer ?

Je pense que l'enjeu est un peu dernière nous, car les grands principes contemporains ont été posés pendant ces quarante dernières années que je mets en avant. Parallèlement, je consacre justement une des expositions au développement que pour l'instant je nomme "Nouveau pittoresque ou Nouvelles subjectivités," avec comme sous titre "dérives documentaires et renouvellement du genre paysage". En effet, les pratiques évoluent encore beaucoup et ce qui m'intéresse ce n'est pas tant forcement les suiveurs mais de voir comment ceux qui ont en quelque sorte réinventé le paysage continuent à le faire évoluer aujourd'hui.

Par ailleurs, il est évident qu'il y a tout un nouveau développement que j'ai laissé de côté. J'ai très peu montré d'œuvres issues de pratiques liées aux nouvelles technologies et  totalement écarté les premiers développements des pratiques interactives sur internet, qui relancent notamment au-delà des pratiques "populaires" un renouvellement conceptuel. Mais pour l'instant c'est encore très balbutiant.

 © Gilbert Fastenaekens / Courtesy galerie Les filles du calvaire, Paris

Photographie.com : Le projet s'organise autour de quatre axes majeurs : paysage-document, paysage-fictions, le nouveau pittoresque et paysage-politique. Quelles sont les principaux éléments qui définissent chacune de ces catégories ?

"Paysage-Document" s’appuie sur les approches documentaires dans leurs dimensions objectives, typologiques et critiques. Cet axe met en évidence le radicalisme de ces méthodologies et la volonté d’objectivation du paysage des approches "territoriales". Si cette section évoque certains artistes historiques tels que les américains de la New Topography, elle se concentre sur les démarches des années 1980 - 1990, apparues notamment à travers les commandes européennes.

Les travaux analytiques sont mis en lumière afin de démontrer l’importance de l’analyse des codes de fabrication du paysage et de la notion d’image en tant que document. D’autres œuvres démontrent l’importance d’approches plus spécifiquement typologiques et critiques.

Trois propositions d’expositions sont issues de ce contexte, la synthèse entre les courants américains et la scène européenne au Musée de la Roche-sur-Yon cet été, tandis que l’exposition à l’Arsenal de Metz se concentrera sur les pratiques documentaires européennes autour de la notion de commandes et d’analyse du territoire. Enfin, à l’Artothèque de Vitré sera proposé une exposition-dossier visant à mettre en lumière quatre photographes européens exemplaires de quatre nationalités différentes afin de démontrer de la cohérence des pratiques (Thibaut Cuisset, John Davies, Gilbert Fasteanekens, Paola de Pietri).

© Studio Marlot-Chopard, The Valley, 2006-2007 (Bad Ems II # 2 et Pougues-Les-Eaux # 1)

Photographies couleur, Collection de l’artiste (présent dans les collections CNAP et du Musée Malraux du Havre)

"Paysage-Fictions" illustre les liens que les pratiques narratives entretiennent avec l’histoire de l’art et plus particulièrement dans ses rapports au pictural et au cinéma. Ce segment accorde une place aux écritures particulières qui se rattachent au poétique, mais également au récit et à l’Histoire, et met en avant les compositions de paysages reconstruites par les principes de la mise en scène et éventuellement crées avec l’usage de nouvelles technologies.

Le troisième volet, "Le Nouveau Pittoresque ou la Nouvelle Subjectivité", révèle l’apparition de nouvelles tendances dans les années 1990-2000 qui, à partir de démarches objectives, vont requalifier la vision documentaire en la "surpassant" par un apport formel. Sortes de "dérives" documentaires éclairées par le désir esthétique de l’auteur, ces créations peuvent interroger la notion du pittoresque à travers une posture néoromantique. Dans d’autres occurrences, le bouleversement des normes visuelles de l’image provoque des décalages perceptifs faisant surgir de nouvelles esthétiques corollairement à des démarches dites objectives. À défaut d’avoir trouver une juste terminologie, pour l’instant nous regroupons sous le terme de "nouvelle subjectivité".

Ces deux axes complémentaires seront déployés au Musée de la Roche sur Yon cet automne et repris au Musée de Laval début 2013.

Paysage-Politique se concentre sur les traces et les mémoires inscrites dans le paysage dont résultent des travaux qui relèvent tant d’une approche objective que d’une position critique en regard de l’impact de nos actions politiques et économiques sur l’environnement. Certains artistes associent objectivation documentaire et analyse sociétale dans leur engagement politique. Ce volet prend en compte deux grandes tendances critiques actuelles : l’impact écologique de la politique de développement économique et les traces de guerres dans le paysage.

© Rodney Graham, Pinderosa Pine, 1991

Photographie couleur, Musée de La Roche-sur-Yon

Photographie.com : Le projet vise à synthétiser les démarches photographiques des années 1970 à nos jours. Comment avez-vous réalisé la sélection ? Quel a été le rôle des institutions régionales françaises ou étrangères ?

J'ai commencé par faire le point sur mes propres connaissances car cela fait longtemps que ce sujet m'intéresse. (J'avais notamment organisé un ensemble conséquent d'expositions rassemblées autour du thème "Cosa mentale paysage " en 2002 à Paris, à Bienne en Suisse, au Luxembourg et à Bruxelles, qui a permis de montrer beaucoup d'artistes à travers des expos en galerie et dans diverses institutions.)

Dans la perspective de ce projet plus personnel, j'ai recensé plus de 450 artistes - j'aurais pu continuer indéfiniment, mais en me concentrant sur les démarches européennes "principales," et les références américaines et canadiennes, je m'en suis sortie. Après un travail de conception sur plus d'un an avec la complicité de quelques uns (D.Abensour,T. Cuisset, H.Jagot, C.Domino) qui m'a permis petit à petit de passer à un système à multi-entrées, afin de cerner les axes les plus pertinents, je suis parvenue à définir les quatre grandes catégories que je viens de décrire mais qui bien sûr comportent des sous-sections ! Rien n'est écrit dans le marbre ! Normalement il y aura un colloque l'année prochaine qui permettra d'en débattre avec des artistes, des critiques et des philosophes. À suivre donc...

Pour ce faire, je suis parallèlement partie des œuvres et notamment celles du Musée de La Roche sur Yon, car il possède des photographies importantes grâce à des acquisitions initiées dans les années 80. Cette politique d'acquisitions en photographie qui a été reprise depuis quelques années se trouve ainsi complétée de manière très intéressante. 

Les FRAC regorgent aussi de trésors. En fonction de leurs propres axes de collections, on peut trouver des sous ensembles représentatifs : le FRAC Bretagne, par exemple, a de nombreuses pièces autour des traces de conflits ; le FRAC Haute Normandie a aussi beaucoup d'œuvres étonnantes, etc… 

Enfin, vous avez les fonds liés au commandes comme ceux du Pôle Image à Rouen ou du CRP de Douchy les Mines, par exemple. Nous n'avons pas pu bénéficier des prêts directs du FNAC qui est essentiel dans ce domaine car il est en réaménagement pour deux ans mais nous avons pu récupérer des pièces de ce fonds national en dépôt ailleurs (c'était fondamental de les obtenir). 

Ce travail titanesque de récolement a été, certes, initié par moi mais effectué par Hélène Jagot, la directrice du Musée de la Roche et son équipe.

© Catherine Poncin, Bobigny, 160 x 180 cm

In collection Département de La Seine-Saint-Denis, Courtesy galerie Les filles du calvaire, Paris

Photographie.com : Les différentes commandes territoriales lancées à travers le monde ont joué un rôle déterminant dans le renouvellement de la vision paysagère… La DATAR représente-t-elle une volonté d'apporter des nouvelles perspectives dans le domaine de la photographie française du paysage ?

C'est évident, la DATAR a été majeure et son impact extrêmement important. Cela a inauguré aussi l'essor de nombreuses commandes qui ont eu lieu depuis, comme celles des observatoires.

Nous avons fait une table ronde pour le vernissage de Paysage Document au Musée de la Roche sur Yon ; quatre artistes étaient présents, dont Thibaut Cuisset qui a rappelé à quel point le positionnement de la DATAR avait été important pour lui. C'était une ouverture incroyable, l'esprit DATAR emprunt de liberté artistique a été providentiel au renouvellement conceptuel et formel. 

Anne-Marie Filaire, également présente, a aussi beaucoup parlé de l'importance des commandes dans sa démarche.

Photographie.com : Quel rôle les artistes français et européens ont-ils joué - et jouent-ils aujourd'hui - en matière de renouvellement de la notion du paysage ? 

La réponse est évidente si vous venez voir les expositions et si plus tard vous lisez le livre qui devrait comprendre 200 reproductions...!

Photographie.com : Les nouveaux outils numériques ont-ils donné une nouvelles esthétique du paysage ?

Le travail que j'ai mené ici est une tentative de synthèse et une mise en perspective historique donc avant tout, je regarde ce qui a été fait. Je pense par ailleurs qu'il est encore beaucoup trop tôt pour le dire. Pour l'instant, les outils numériques ont un rôle secondaire même s'ils permettent  de créer du paysage fantasmé. 

Au-delà, il me semble que la problématique du paysage passe de toute façon par son rapport dialectique entre un réel tangible et une "cosa mentale" donc, même si les outils numériques peuvent aider les propositions artistiques, ce n'est pas cela qui détermine le concept. Cela peut influencer la forme mais la vivacité d'une esthétique numérique n'est pas encore visible. Nos références visuelles sont très ancrées et le numérique ne fait pour l'instant que les recopier. À mon sens, il n'y pas véritablement de nouvelle esthétique en dehors de quelques démarches singulières.

Propos recueillis par Didier de Faÿs et Roxana Traista

© Corinne Mercadier, Sans titre, Série Paysage, 1992-1994

50 x 50 cm

Courtesy galerie Les filles du calvaire, Paris

http://www.photographie.com/news/cosa-mentale-paysages-40-ans-dvolution-de-la-notion-du-paysage

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