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Catégories : A lire, CE QUE J'AIME/QUI M'INTERESSE

Le feu à leurs vies

Francine-de-MartinoirLa collaboratrice du «cahier livres et idées» Francine de Martinoir publie son 20e  livre, où fleurent ses thèmes de prédilection : la mélancolie, l’Histoire française et corse, et l’empreinte laissée sur les êtres par les maisons.

 

22/1/14 - 15 H 25

 

LE FEU AUX TUILERIES
de Francine de Martinoir
Editions Jacqueline Chambon, 316 p., 21,80 €

C’est dans une forêt drue et souvent effrayante que semblent avoir pénétré les personnages du très beau nouveau roman de Francine de Martinoir. Ou bien y sont-ils tous nés, leurs vies vouées à y trouver un chemin ? Forêt de leurs histoires familiales respectives, chacune comptant son lot de secrets inavoués, dont l’auteur laisse affleurer par vagues subtiles les présages. Forêt de leurs sentiments, qui résonnent les uns avec les autres comme si les bonheurs et les malheurs, les conforts et les maladresses pouvaient se reproduire génération après génération.

Chacun d’entre eux, pourtant, semble porté par l’idée qu’il aurait pu avoir une autre vie, comme le chat de Schrödinger auquel une bizarre loi physique permet d’être à la fois vivant et mort. Thibault, le descendant d’une lignée de jardiniers impériaux, hanté par l’incendie des Tuileries où périt son arrière-grand-père, et devenu cadre dans l’industrie alors qu’il rêvait de poésie ; le sexagénaire Charles, autre «inconsolé» du livre, psychanalyste de renom alors qu’il se destinait à la prêtrise, qui semble avoir mené une route parallèle à Thibault ; les deux femmes en âge d’être leurs filles, Esther et Delphine, l’une comédienne, l’autre psychanalyste; et leurs mères à toutes deux, Sylvie et Marthe, dont la joie apparente ne suffit pas à masquer la peur, la solitude et la mélancolie.

Francine de Martinoir, également biographe, a affectionné de longue date les personnages de l’ombre, excellant à les mettre en lumière. Au fil de cette balade dans le passé – métaphoriquement mais aussi au sens propre, puisque y surgissent les rues de l’ancien plan de Paris –, chacun d’eux semble en quête de l’enfant qu’il fut, ou de celui qu’il perdit. Même l’indépendante et libre Marthe, parvenue à «maîtriser son désarroi au fil des ans», a gardé sa part de mystère, elle qui, à son compagnon «traquant le manque d’être», oppose un choix lumineux et désarmant : «Eh bien moi, je préfère “l’être”».

Forêt aussi celle du dramaturge russe Alexandre Ostrovski, pièce de théâtre située dans une vieille demeure aristocratique. Cette histoire de fin d’un monde fut montée pour la première fois en 1871. Si le roman de Francine de Martinoir multiplie les temporalités sans confusion, et s’il se déroule dans un passé récent, 1871 semble la source d’où partent tous les affects.

Les plus belles pages de ce roman plein de tiroirs secrets sont peut-être celles ancrées dans la terre séculaire de la Corse. Ici convergent mystères et souvenirs, la mort côtoyant les vivants de la manière la plus naturelle et la plus impénétrable qui soit. Un monde enfoui que la littérature semble vouloir sauver des promoteurs : «Ce qui traîne en nous dans nos mémoires, confie à Marthe son cousin, nos peurs, nos espoirs bafoués dès l’enfance par les mots de résignation des parents, des voisins, qui semblaient nous indiquer d’un regard les murs de notre prison, la mer difficile à traverser, la pauvreté des terres. (…) Nous avons été spoliés d’une Histoire qui, si on nous l’avait contée en temps voulu, nous aurait peut-être délivrés.»

Sabine Audrerie

 
 

22/1/14 - 15 H 25

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