Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Félix Vallotton, le peintre de l’étrange
Félix Vallotton, La Blanche et la Noire, 1913, huile sur toile, 114 x 147 cm (Winterthour, Villa Flora. Fondation hahnloser-Jäggli).
Isabelle Cahn, conservateur en chef au musée d’Orsay et commissaire de la rétrospective Vallotton qui ouvre au Grand Palais le 2 octobre, nous donne les clés d’entrée dans l’œuvre du peintre suisse qui oscille, de la période nabie aux années 1920, entre étrangeté et modernité.
Félix Vallotton est un artiste assez rare en France. Qu'est-ce qui a motivé cette exposition?
Isabelle Cahn En effet, si l'on excepte l'exposition du musée Maillol en 1997, mais qui portait uniquement sur les nus, Vallotton n'avait pas été montré à Paris depuis 1979 au Petit Palais, la dernière vraie rétrospective remontant à 1966, au musée d'Art moderne de la Ville de Paris. La nôtre a été voulue par Guy Cogeval, en toute bonne logique : Orsay a célébré tous les grands Nabis, hormis Vallotton, le moins populaire d'entre eux, le plus problématique de par son évolution. Nous avons pensé que les temps étaient enfin mûrs pour présenter à nouveau Vallotton au grand public.
Il fut d'abord un graveur remarquable...
Arrivé à Paris en 1882, Félix Vallotton se fait d'abord connaître comme illustrateur et graveur. Au début des années 1890, il rencontre Thadée Natanson, qui sera le premier à le publier, dans « La Revue blanche ». Il publie aussi dans « L'Art et l'idée » et dans de nombreuses revues où il donne des illustrations très engagées comme « Le Courrier français », « Le Rire », « The Chap Book », « L'Assiette au beurre ». Il est du côté des anarchistes et des intellectuels, militant pour des causes progressistes. Ses gravures portent un regard très caustique et noir sur la société, la répression policière, la peine de mort, mais aussi les moeurs de ses contemporains. Plastiquement, il radicalise ses moyens d'expression, notamment dans ses xylographies, en jouant sur les purs contrastes des blancs et des noirs. C'est une synthèse magistrale de la pensée, de l'observation, avec un traitement de l'espace non naturaliste mais néanmoins vecteur d'émotion forte. Dans La Charge, par exemple, les manifestants « s'évaporant » littéralement vers l'extérieur du cadre, expriment exactement, physiquement, le sentiment de panique et de terreur. Le blanc et le noir s'envolent dans le ciel comme sous le coup d'une déflagration, un choc électrique, un coup de foudre. Mais la déflagration est aussi psychique, surtout quand il traite des rapports hommes-femmes. Comme il y a beaucoup de silence-ses personnages sont très « silencieux »-, ça se passe comme si nous étions dans leur tête et regardions par leurs yeux, d'où l'immédiateté, l'effet explosif que peuvent avoir ses images, pour le spectateur.
Cette causticité ne s'exerce-t-elle pas aussi à l'égard de la femme ? N'y a-t-il pas une certaine misogynie, aussi bien dans l'oeuvre gravé que dans la peinture ?
Oui indéniablement, il donne à la femme un rôle négatif, elle apparaît toujours dominatrice, cruelle, intéressée ; l'argent joue un rôle très important. Et l'homme paraît toujours écrasé, toujours perdant. Dans la série de bois gravés Intimités, on a l'impression que Vallotton se venge de quelque chose. On pourrait presque parler de méchanceté, de cruauté, et même de sadisme, dans ses thèmes comme dans le tranchant des moyens plastiques...On retrouve la même acrimonie dans ses peintures, scènes d'intérieur et autres cinq-à-sept. Tout est annoncé de la catastrophe à venir, qui est pour lui le sort inéluctable de toute relation amoureuse. Il y a une séparation radicale entre les sexes : la femme est mauvaise par nature, elle séduit puis détruit l'homme. En même temps, il est très attiré par la femme, qui est un thème majeur de son oeuvre.
Lire la suite dans le Magazine Connaissance des Arts octobre 2013