Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Nous avons beaucoup aimé mercredi au Jeu de Paume:Robert Adams: «Photo et poésie font appel à la métaphore»
«Bruning oil sludge, north of Denver, Colorado», 1979. (Photo Robert Adams. Courtesy Fraenkel Gallery, San Francisco et Matthew Marks Gallery, New York)
L’artiste autodidacte évoque ceux qui l’ont inspiré et sa passion pour les paysages en noir et blanc.
Les mots «vérité» et «utilité» reviennent souvent dans la conversation du photographe Robert Adams, 76 ans, ex-prof de littérature anglaise, inlassable témoin des transformations de l’Ouest américain, qui se montre aussi humble dans ses propos que dans ses photos. Par téléphone, depuis l’Oregon où il réside, il revient sur une carrière qu’il décrit comme un engagement et dont la rétrospective au Jeu de Paume, à Paris, déploie toute la cohérence.
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Votre formation, en autodidacte, a consisté à lire des livres et revues de photographie à la bibliothèque. Quelles ont été vos inspirations ?
J’ai commencé à prendre des photos à 23 ou 24 ans et, en effet, il y avait une bonne bibliothèque près de là où j’habitais. J’y ai découvert Alfred Stieglitz, Edward Curtis, Ansel Adams et Dorothea Lange. Leur travail me suggérait qu’il y avait quelque chose de merveilleux à faire avec cet outil, la photographie. Plus tard, Bill Brandt et Eugène Atget sont devenus importants pour moi. Aujourd’hui, je reçois de nombreux portfolios dont la qualité me réjouit, mais à mon âge on ne se mesure plus qu’à soi-même, à ses propres ratages et à ses accidents. Il n’y a toutefois pas que des photographes qui m’aient inspiré : il y a également des peintres, comme Edward Hopper et Winslow Homer pour les Américains, Cézanne, Corot et Monet pour les Français. Et aussi ceux que j’appellerais des peintres de l’image en mouvement : Raoul Coutard, le directeur photo d’Alphaville, m’a par exemple beaucoup appris sur la photo en noir et blanc, son travail m’a incité à prendre des clichés urbains plus «durs».
Avez-vous eu le sentiment, à l’époque de séries comme «Eden» (1968) et «New West» (1968-1971), de changer radicalement la photographie de paysage américaine ?
J’étais trop jeune et je connaissais trop peu l’histoire de la photo pour penser que mon travail était moderne. Mais - je vais manquer d’humilité une seconde - j’avais le sentiment d’avoir quelque chose d’important à dire, que personne n’avait dit avant moi. Désormais, je connais les paysages de Gustave Le Gray, les photos du Français Charles Marville, les peintres de l’école de Barbizon [qui prônaient, au XIXe siècle, le retour à la nature, ndlr] et je leur trouve des résonances avec mon travail. Mais si j’ai commencé à prendre des photos, c’était pour documenter ce qui était en train de se passer dans le Colorado quand j’y suis retourné, après l’université : cette façon dont le paysage se mettait à ressembler à certains désastres urbains de Californie.
Vous avez dit que «l’essence de la photographie est de se mesurer à la vie». Vos photos ont-elles une qualité citoyenne ?
Oui, les artistes doivent comprendre qu’ils ont aussi une vocation citoyenne. Sinon, l’art devient un sauf-conduit pour toutes les formes d’indulgence et le nihilisme. Mais il faut distinguer l’art de la propagande qui, elle, n’est là que pour nous émouvoir et exciter. Le but de l’art est plutôt d’offrir un tout cohérent, une vision plus large, un socle à l’espoir et au courage. L’art sert à se réapproprier la vie, c’est un rôle important dans un monde comme le nôtre, qui semble parfois tellement désespéré.
Pourquoi y a-t-il si peu de personnes dans vos images, ou alors souvent dans l’ombre, voire de dos ?
J’ai vraiment du mal à regarder les gens dans les yeux pour tenter de déceler ce qui se trame en eux. Je trouve cela extrêmement envahissant. D’autres le font mieux que moi, je pense par exemple aux formidables portraits de l’Américaine Judith Ross. Moi, je suis fondamentalement un photographe de paysages. L’exception est la série Nos parents, nos enfants (1979-1983), que j’ai réalisée avec un appareil caché dans un sac de courses. Ce sont des portraits de gens vivant à une quinzaine de kilomètres de l’usine d’armement nucléaire de Rocky Flats, Colorado, où j’avais le souvenir, ayant grandi non loin, de nombreux accidents. Mon intention était de les photographier avec une expression de joie, de gravité, ou encore de patience, qui laisserait transparaître leur âme. Pour montrer que chacun de nous est vivant, qu’il n’y a pas de perte acceptable. Mais je me suis rapidement rendu compte qu’il était extrêmement difficile de trouver des sujets qui convenaient : lorsque les gens ne pensent pas être observés, ils s’autorisent à avoir l’air fatigué et abattu.
Vous citez souvent les poètes. Quel lien faites-vous entre poésie et photographie ?
Les deux se ressemblent, car elles font appel à la métaphore et nécessitent un certain degré d’attention, d’intérêt pour le détail. Je ne fais pas de la photo qui servirait à illustrer un poème, mais je trouve un plaisir quotidien à lire Emily Dickinson, Philip Larkin, William Merwin ou William Stafford, qui correspondent à cette idée de la poésie énoncée par Denise Levertov : ne pas détourner le regard. Tous ces poètes parviennent à trouver, en dépit de contextes difficiles, une mélodie et une alchimie uniques.
Pourquoi continuer à faire vos tirages vous-même ?
Parce que je travaille en noir et blanc. Et, pour être le plus juste possible, il faut faire des choix d’interprétation extrêmement délicats. On ne peut déléguer ce genre de chose. J’ai beaucoup d’amis qui font des choses exceptionnelles avec la couleur, mais j’ai choisi le noir et blanc car je trouve qu’il offre une possibilité de s’abstraire du chaos du monde, permettant ainsi au photographe de trouver plus facilement une forme et une structure dans son image. C’est grâce à cette forme et à cette structure que l’on peut espérer avoir du sens.
La composition très maîtrisée de vos photos appelle deux questions : quel est votre travail de préparation pour chaque image ? Et les recadrez-vous ?
Recadrer, je l’ai très, très peu fait dans ma vie de photographe. Lorsqu’on travaille avec un trépied, on prend son temps pour composer. Et en 35 mm, on appuie plus souvent sur le déclencheur, pour trouver la composition qui sied. Quant à la préparation… Une photo réussie est un mystère. Je crois qu’il faut avoir beaucoup vécu avant de pouvoir en prendre, puis passer beaucoup de temps dans la chambre noire. Prendre une photo ne représente que, disons, un pour cent du temps passé avec cette image. Donc non, je ne planifie rien, je me promène, je vois ce qui se présente. Le poète William Stafford a dit un jour : «L’intelligence, c’est bien, la chance, c’est mieux» [rires]. Les photos sont données, bien plus qu’elles ne sont prises.
Précédente publication:14/02/2014 15:55