Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Un Titien aux petits soins
«La Vénus du Pardo» avant et en cours de restauration. (Photo Daniel Vigears et Jean-Louis Bellec. C2RMF)
En restauration au Louvre depuis trois ans, la toile du peintre italien n’a pas livré tous ses mystères.
Dans le secret du Louvre, Marie Lavandier, directrice du centre de recherches et de restauration des musées de France, se penche sur un grand malade. Treize ans que la Vénus du Pardo de Titien est alitée. Très atteinte par les ravages du temps, elle a été décrochée de la salle où elle voisinait avec la Joconde, pour être soignée. La restauration proprement dite, entamée il y a trois ans, doit se poursuivre quelques mois. Selon la politique de transparence adoptée par le Louvre, il s’agissait là d’un bilan d’étape. Il serait formidable que cette logique conduise, au moment du raccrochage, à une exposition sur ces années d’études.
Nymphe. La plus grande composition mythologique du peintre vénitien (près de 4 x 2 m), trimballée de Venise à Paris, de Madrid à Londres, rentoilée deux fois, a subi plusieurs restaurations et repeints. «C’est la restauration la plus compliquée que nous ayons jamais connue», dit Vincent Pomarède, chef du département des peintures.
Les scientifiques ne peuvent pour autant en percer tous les mystères. Ce paysage a toujours déconcerté. Au centre, un satyre dénude une nymphe endormie, tout en jetant un œil inquiet à un Cupidon prêt à lui décocher sa flèche. Entourée de palabres amoureuses dans les bois, cette vue est curieusement prise dans des scènes de chasse. On peut toujours gloser sur le sexe, la mort, l’instinct et la nature sauvage… en réalité, le message est si obscur que le tableau a changé plusieurs fois de nom.
Rien n’indique que Vénus en soit l’héroïne. Titien a utilisé plusieurs fois cette pose d’une nudité à demi allongée, reprise de Giorgione, pour représenter des personnages aussi divers que Vénus ou Danaé. Certains ont pensé à Antiope, approchée par Zeus. D’habitude mieux inspiré, l’auteur Paul Veyne aurait même voulu y voir Diane, mais il a confondu le carquois du petit dieu de l’amour avec celui de la déesse de la chasse. Le terme de «poésie», que Titien utilise sur la fin de sa vie pour une série de ses scènes inspirées d’Ovide, est aussi insatisfaisant. Lui-même ne l’applique pas à cette œuvre. D’autre part, il a entrepris ce tableau une trentaine d’années avant le débat sur le rôle de la peinture comme poésie, dans lequel il s’est inséré.
Chasse. En revanche, les examens démontrent que le peintre a maintes fois retravaillé la composition, sur plusieurs décennies, avant de la livrer à Philippe II d’Espagne en 1552. Peint rapidement avec la maestria de ses années de maturité, le Cupidon serait venu plus tard, ce qui a dû contribuer à changer la pose du satyre. La partie gauche du tableau, contenant un souffleur de trompe, a été ajoutée par le peintre, peut-être après la commande royale.
Le souverain, qui voulait l’accrocher dans sa résidence de chasse du Pardo, a dû être bien heureux de l’insistance mise sur les scènes de chasse. Et si les explications les plus simples restaient les meilleures ? Sans oublier que, même s’il fréquentait les cercles lettrés, Titien n’était pas un peintre philosophe doté d’une grande culture humaniste. Il a peut-être juste voulu peindre «une femme nue, un paysage et un satyre», tels qu’il les désigne lui-même dans un bref descriptif peu avant sa mort.