Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Un robot complètement à la hache
(Photo Emmanuel Pierrot emmanuelpierrot.com)
Faut mieux pas charrier le Grand quand il a une idée derrière le cortex. L’autre matin, il débarque à l’heure des huissiers, déjà tout mouillé de chaud avec un drôle de tarare blanc et orange sous le bras. «C’est quoi ce machin ?» qu’on lui fait aussi ensuqué qu’un bouilleur de cru tatar avant le dégel : «C’est le robot hachoir de feu ma mère», qu’il déclame mélancolique. «Cet engin aurait-il participé à l’offensive viêt-cong du Têt en 1968 ?» qu’on galèje. Le Grand nous toise avec ce dédain qui n’appartient qu’aux lève-tôt incompris : «Sache, petit con, que cette perle des arts ménagers nous a procuré nos premiers émois gustatifs. Alors que tu n’étais pas encore sevré de Blédine, on se régalait déjà de terrines de campagne, de boulettes sauce lapin, de pain de viande et autres plaisirs hachés menus par cette machine fruit de l’intelligence humaine et des chaînes Moulinex», assène l’intrus qui brandit son lourd filet à commissions. «Je suis allé faire les courses pendant que tu écrasais, on va se faire un méga gueuleton autour du mouliné. Je veux tout faire, un pâté, un tartare, des burgers, des koftes. Et que ça saute !»
Vermisseaux. C’est pas qu’on soit mauvais coucheur, mais imaginez le Grand chez le tripier à l’heure du laitier en train de causer gorge de porc et crépine, ça nous fait penser à Rencontres du troisième type. Faut pas être sectaire sur le partage des savoirs aux fourneaux mais le Grand, c’est pas un ingénieur de la bectance. «On attaque la terrine», qu’il braille en posant son spoutnik rotatif sur la table de la cuisine. «Ça marche à quoi ton truc, qu’on se renseigne. A la slivovitch monténégrine ? Aux 110 ou aux 220 volts ?» Là, le Grand, il nous fourre sous le tarin une tranche d’échine aussi maousse. «Tu veux voir Vesoul où quoi ? Branche la bête, ça va saigner !» qu’il ordonne. «Déjà, tu coupes en morceaux ta bidoche, sinon ton moulin va couler une bielle à la deuxième bouchée», qu’on le prévient. Le Grand, il s’applique avec son Opinel alors que son hachoir démarre en rugissant comme une R8 Gordini. «C’est pas beau ?» qu’il s’extasie devant un faisceau de vermisseaux de viande qui s’extraient péniblement de la grille du hachoir. «T’en a pour une paie, vu la lenteur de ton machin, et je veux pas dire, mais le moteur sent le chaud», qu’on fait remarquer. «T’inquiète, il a toujours fait des miracles», assure le Grand. Pourtant, au troisième chargement, l’héritage maternel s’arrête brusquement. Et l’on a beau tenter de ranimer la bête, rien n’y fait. «C’est pas comme ta Ford Cortina, qu’on dit. Il suffit pas d’un coup de manivelle ou de la pousser dans la traboule pour qu’elle redémarre.»
Le Grand, il est aussi marri qu’un robot grippé quand on lui dévoile notre botte secrète : «Le hachoir manuel à vis que l’on accroche après la table de la cuisine. Y a que ça de vrai. Et puis, la fonte, ça tombe jamais en rade.» Tandis qu’il fait chauffer la Cortina, on se rancarde sur le Boncoin. On trouve un «hachoir à viande manuel numéro 8 en fonte d’acier nickelée et fixation par serre-joint» de toute beauté à 2 gallons d’essence et une chopine d’aligoté de distance.
Faut qu’on trace si on veut hacher pour de bon avant la nuit. Surtout que c’est plutôt le barycentre de nulle part où l’on débarque. «C’est pas la Foire de Paris», grogne le Grand devant la vitrine obscure et fanée d’une quincaillerie où un panonceau «A vendre» est accroché. La lourde couine, le plancher grince, ça sent la térébenthine et la pisse de chat. Un greffier nous glisse entre les jambes, un taulier cireux vient nous toiser sous le nez. «C’est pour le hachoir ?» qu’il questionne. Ben, dis donc, l’ancien, on n’est pas venu pour une motobineuse, qu’on pense en hochant la tête. Il se pavane, les deux mains sur ses prothèses de hanche, le pacha de la quincaille. «Si vous voulez ce hachoir qu’est une rareté, faudra aussi me prendre mon stock de pointes à chevrons et deux boîtes de cire d’antiquaire.» On est là comme deux ronds de flan avec le Grand à mater ce Picsou du petit commerce qui nous a tendu une embuscade. «Mais, c’est de la vente forcée», s’insurge le Grand. «C’est ça ou rien», réplique le boutiquier en désignant l’enseigne préhistorique de l’épicerie en face. «Allez chez ma conscrite, c’est pareil, si vous voulez du café, il faut aussi acheter du sucre. On a besoin de sous, nous les vieux.»
Jamais on a admiré un hachoir avec autant de solennité quand le Grand donne ses premiers tours de manivelle. «Si c’est pas beau un engin pareil, qu’il fait. Si on me demande la recette de ma farce, je dirai "une livre de gorge de porc, une livre de foie, une livre de lard et cinq kilos de clous…"»
En gros dés. On a déniché une recette de pain de viande dans Tout haché, une recette du Café moderne (1). Pour cela, il faut : 4 œufs ; 2 oignons ; 2 cuillères à soupe d’huile d’olive ; 400 g de bœuf haché ; 400 g de veau haché ; 20 g de farine de pain azyme (en épicerie cacher) ; 30 g de chapelure ; sel et poivre. Cuisez deux œufs 10 minutes à l’eau bouillante, rincez-les à l’eau froide retirez la coquille. Réservez. Epluchez un oignon, découpez la moitié en rondelles, puis le reste en dés. Faites revenir les oignons en dés à l’huile d’olive durant 5 minutes dans une poêle. Dans un saladier, mélangez les viandes avec les dés d’oignons, les œufs crus, la farine et la chapelure. Salez, poivrez et mélangez bien. Préchauffez votre four à 180°C. Déposez la viande dans un plat. Placez les œufs durs au milieu et formez un gros rôti. Déposez sur le dessus les rondelles d’oignon. Arrosez d’un filet d’huile d’olive et versez un fond d’eau dans le plat. Enfournez 30 minutes ; ajoutez un grand verre d’eau et laissez cuire encore 30 minutes. Servez découpé en tranches avec des pommes de terre coupées en gros dés et déposées autour du pain de viande.
(1) «Tout haché : boulettes, tartares, burgers», Hachette, 144 pp., 22,50 €. Café moderne, 19, rue Keller, Paris XIe.
Photo Emmanuel Pierrot