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Deux monuments de la peinture italienne en restauration

 

Le Monde.fr | 21.01.2014 à 10h15 • Mis à jour le 21.01.2014 à 12h00 | Par Florence Evin

 

Portrait de femme, dit "La Belle Ferronnière", par Léonard de Vinci (vers 1495-1499).
Portrait de femme, dit "La Belle Ferronnière", par Léonard de Vinci (vers 1495-1499). | MUSEE DU LOUVRE/RMN/ANGELE DEQUIER

 

La Belle Ferronnière, de Léonard de Vinci, sera bientôt décrochée des cimaises du Louvre, sa restauration étant programmée dans les prochaines semaines. « Elle est en très bon état, la lisibilité est rendue difficile à cause du vernis, c'est une restauration purement esthétique », prévient Vincent Pomarède, directeur du département des Peintures au Louvre – fonction qu'il quittera en avril-mai pour prendre la direction de la Médiation, pôle englobant, notamment, le « ré-accrochage » des œuvres dans les salles et la programmation des expositions.

 

Ainsi, après la Sainte Anne, qui a retrouvé l'éclat subtil de ses couleurs en 2012, le programme de restauration des « Léonard » du Louvre se poursuit. Mais jusqu'où ? Et quand on l'interroge sur La Joconde, Vincent Pomarède botte en touche, renvoyant aux propos de son président, Jean-Luc Martinez qui, sur CNN, reconnaissait que le tableau est de plus en plus opaque et que la question de sa restauration se pose. Mais toucher à La Joconde déclencherait un émoi planétaire. La prudence reste de mise.

"Jupiter et Antiope", dit "La Vénus du Pardo", de Titien, avant restauration (huile sur toile 196 x 385 cm)."Jupiter et Antiope", dit "La Vénus du Pardo", de Titien, avant restauration (huile sur toile 196 x 385 cm). | C2RMF/DANIEL VIGEARS

 

UNE « POÉSIE PEINTE »

Rien de tout cela, en revanche, pour La Vénus du Pardo, le plus grand tableau mythologique de Titien (près de 2 m sur 1,4 m), une « poésie peinte », selon les termes du spécialiste de la peinture italienne du XVIe au Louvre, le conservateur Vincent Delieuvin. L'œuvre est en si mauvais état qu'une réflexion de près de dix ans s'est imposée avant que la moindre opération soit même envisagée : « De toute ma carrière au Louvre, je n'ai jamais vu une restauration aussi compliquée », avoue Vincent Pomarède.

 

PREMIÈRE PHASE DÉBUTÉE EN 2010

La première phase de restauration a débuté en juin 2010. La toile a été débarrassée de ses vernis oxydés et superposés en couches épaisses et de ses repeints – depuis les plus récents (1993) jusqu'à ceux du XIXe –, dans le laboratoire du Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF). Une affaire complexe et minutieuse, tant l'œuvre a souffert et est endommagée. Face au tableau, posé sur un chevalet en pleine lumière naturelle dans le laboratoire du C2RMF, Vincent Pomarède, directeur du département des peintures du Louvre, se réjouit : « A 95 %, l'image finale du Titien a été retrouvée avec la pureté du visage de Vénus. Il n'y a plus d'état d'âme sur son attribution. Titien était jeune. »

Vraisemblablement initiée en 1520, la scène mythologique représentant Jupiter et Antiope aurait eu un premier commanditaire italien avant d'être offerte à Philippe II d'Espagne en 1552 pour sa résidence de chasse du Pardo. Puis, donnée en 1623, par Philippe IV au futur Charles Ier d'Angleterre. Enfin acquise par Mazarin après l'exécution de ce roi en 1649, elle fut remise, en 1661 à Louis XIV par les héritiers du cardinal. Avant d'être brinquebalé en charrette jusqu'en Espagne puis malmené sur l'Atlantique, et pendant la traversée de la Manche, le tableau resta trente ans dans l'atelier du Titien, à Venise.

L'ARTISTE SUPRIME UN VILLAGE, AJOUTE UN ARBRE

Sans cesse, l'artiste en reprend l'iconographie et la composition, directement à la peinture, sans passer par le dessin. Aucun témoignage ne subsiste des différentes étapes. Pas de copies de ses élèves, comme il en existe pour la Sainte Anne de « Léonard », restée vingt ans dans son atelier.

Ce sont les récentes analyses et la « réflectographie » à l'infrarouge qui ont livré les secrets du tableau jusqu'au pinceau de Titien. Le Vénitien supprime un groupe de cavaliers, un village, une baigneuse assise, dont on devine la jambe et la courbe du dos ; il ajoute un arbre dans lequel il met en scène Cupidon. Et rallonge la toile de 70 cm, sur la gauche, pour représenter des chiens de chasse.

TRÈS MAUVAIS ÉTAT

"Jupiter et Antiope", dit "La Vénus du Pardo", de Titien, en cours de restauration (huile sur toile 196 x 385 cm) : après nettoyage et vernissage intermédiaire et avant retouche de la couche picturale."Jupiter et Antiope", dit "La Vénus du Pardo", de Titien, en cours de restauration (huile sur toile 196 x 385 cm) : après nettoyage et vernissage intermédiaire et avant retouche de la couche picturale. | C2RMF/JEAN-LOUIS BELLEC

 

Le « nettoyage » atteste du très mauvais état de la toile avec ses accidents, lacunes, tâches laissées par des mastics de toutes couleurs. Il met aussi en évidence la fragile grâce de Vénus en Antiope séduite par Jupiter sous le masque du satyre, de la main du maître – et non pas de celle d'Antoine Coypel, peintre de Louis XIV, comme certains le laissaient entendre.

La complexe compréhension du tableau s'explique par la dizaine de restaurations subies avant même d'entrer dans les collections françaises à la fin du XVIIe siècle. Dès 1688, il est une première fois ré-entoilé et Coypel intervient pour réparer les dégâts d'un restaurateur négligent. Depuis cette date, toutes les opérations seront documentées. Comme la transposition de la couche picturale, redoutable procédure réalisée en 1829-1831 qui conduisit à la suppression des repeints antérieurs.

RETOUR EN 2015

Aujourd'hui, les couleurs du Titien ont retrouvé de la transparence. L'aiguière est réapparue, elle était totalement masquée par les couches jaunâtres de vernis. Comme la peau de lynx sur laquelle Vénus est étendue. Patricia Vergès et Franciziska Hourrière, les deux restauratrices, avouent procéder « comme des commissaires sur le lieu d'un crime, à la recherche de traces matérielles pour comprendre le tableau », précise Mme Vergès. Reste à réaliser les retouches pour combler les lacunes. L'œuvre devrait être de nouveau visible sur les cimaises du Louvre en 2015.

 

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