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Christian Bodiguel, chef de rails

 

Christian Bodiguel, chef cuisinier des trois wagons-restaurants du Venice Simplon Orient-Express.

Christian Bodiguel, chef cuisinier des trois wagons-restaurants du Venice Simplon Orient-Express. Crédits photo : Gilles Bassignac

Le Figaro Magazine a rencontré le chef nomade qui régale depuis trente ans les passagers du mythique Venice Simplon Orient-Express.

Chef cuisinier depuis plus de trente ans, Christian Bodiguel n'a toujours pas d'étoile. Peu lui en chaut, il a beaucoup mieux. Il a un train. Et pas n'importe lequel: le ­Venice Simplon Orient-Express (VSOE). Alors que le prestigieux Guide Michelin fête ses 114 ans, Bodiguel, lui, entame sa 30e année comme chef à bord de ce train légendaire lancé en 1883 et qui relie, de mars à ­novembre, Paris et Venise (et une fois par an Istanbul ou Stockholm).

Originaire d'Herbignac, en Loire-Atlantique, Christian Bodiguel arrive à Paris à l'âge de 18 ans. Il démarre à l'hôtel Frantel - où se succèdent Joël Robuchon et Jean Fleury -, puis au Pavillon Royal du bois de Boulogne. En 1981, alors qu'il occupe le poste de chef au restaurant de l'Hôtel Warwick, à deux pas des Champs-Elysées, le directeur du Venice Simplon Orient-Express Claude Ginella le convoque et lui offre le poste de sa vie. «Il venait souvent à ma table, et résidait à l'hôtel. J'imagine qu'il appréciait ma cuisine», raconte l'homme aux joues rondes et à l'air avenant. Je suis immédiatement parti à Venise tenter l'expérience.» Pas question de laisser passer ce train-là. Pourquoi? «Par curiosité surtout, et aussi pour le challenge que ça représentait.»

Le challenge, il l'a trouvé. Car, si les wagons d'époque magnifiquement restaurés grâce au concours de l'homme d'affaires ­James Sherwood rayonnent d'un luxe haut de gamme qui échappe à toute vulgarité, le temps ne les a pas agrandis. Christian se souvient de son angoisse en découvrant ses futures cuisines: deux petites cellules étriquées. «Je suis tombé sur ces deux pièces tout en long, de 12 m² chacune… J'allais devoir changer mes habitudes.» En effet, cuisiner dans un train impose son lot de contraintes. Les secousses empêchent, entre autres, l'utilisation de friture. Sauf une fois, lorsque John ­Travolta est monté à bord. «Son fils a réclamé un hamburger avec des frites. Pour Travolta, j'ai fait une exception… Mais j'ai quand même utilisé un filet de bœuf.» Pour le reste, même les tâches les plus simples requièrent de l'astuce. Par exemple, mettre un chinois dans la casserole pour casser le va-et-vient de l'eau bouillante. Dans cette extrême exiguïté, lui et son équipe parviennent à servir 180 dîners en deux services. Sans compter les ­petits déjeuners et les déjeuners. Son ­record? 265 couverts en une soirée.

Un train où les passagers sont heureux d'être en retard

«L'approvisionnement aussi est un casse-tête, poursuit Christian. Si un des fournisseurs arrive en retard à Venise ou à Paris, c'est la catastrophe.» Il touche du bois, ça n'est arrivé qu'une fois. «Le train partait, et j'ai tiré la sonnette d'alarme. Branle-bas de combat en pleine gare de l'Est. La SNCF, furieuse, débarque et me demande ce qui se passe: je n'avais pas mon pain.» En dernier recours, il y a toujours un menu d'urgence, pour parer à toute éventualité. Comme cette fois, en 1987. «On était bloqué en Autriche à cause d'une avalanche (à cette époque, le train roulait encore toute l'année, ndlr). J'ai dû improviser un repas de plus… La belle époque!» Aucun passager ne s'était plaint, se rappelle Christian. «On est le seul train du monde où les gens sont contents quand on est en retard: ils restent plus de temps à bord!»

Voyager en VSOE, c'est faire un bond (de luxe) dans le passé. Pas de Wi-Fi et des poêles à charbon pour chauffer les wagons. Les clients aussi jouent le jeu. Même les stars qui viennent incognito pour être tranquilles - sauf Eddie Barclay, qui avait réservé le train pour son voyage de noces, ou Johnny Hallyday. Jean et baskets formellement interdits. Le soir, robe obligatoire pour ces dames, et costume complet pour ces messieurs. Tout participe à recréer une ambiance authentique où l'on croit apercevoir, au détour d'une cabine, le Hercule Poirot d'Agatha Christie. Quant aux repas, on les déguste à table. Confortablement assis dans l'une des trois voitures- restaurants, le paysage défile au fil de la fourchette, passant des sublimes Dolomites italiennes aux campagnes autrichiennes. «Aucun restaurant au monde ne peut ­offrir ce paysage», assure fièrement Christian. Souvent, des clients s'étonnent de ne pas voir le restaurant apparaître dans le ­Michelin, ou dans un autre guide. «La raison officielle tient au fait que nous n'avons pas d'adresse ni d'horaires d'ouverture fixes. C'est dommage, mais ça ne retire rien à notre cuisine.» Et de continuer, amusé: «En plus, nous avons des habitués, comme tous les restaus: des Français qui font l'aller-retour Paris-Calais pour déjeuner ou dîner à bord!» A vue de papilles, et sans arrogance, Christian estime qu'ils assurent le niveau d'une étoile, «le cadre en plus.» Mais, étoilé ou non, Christian n'échangerait son poste pour rien au monde. Même avec les chefs qu'il estime comme Guy Martin (Grand Véfour) et Christian Le Squer (Ledoyen). Avec la même énergie qu'à ses débuts, Christian Bodiguel compte bien officier à bord encore quelques années. Et, si la ­retraite le pousse un jour à quitter le Venice Simplon Orient-Express, il a déjà trouvé comme parade un projet que lui seul a la légitimité d'élaborer. «Je monte mon propre restaurant: une voiture de l'Orient-Express, mais dans mon jardin.»

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Journaliste au Figaro Magazine et au Figaro.fr depuis 2012.

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