Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Italie, le Grand Tour : dans le miroir de la photographie au XIXe siècle par Giovanni Fanelli et Barbara Mazza
Aimez-vous les vieilles pierres, et les lieux chargés d’Histoire ? Avez-vous déjà eu la chance de visiter l’Italie ? Vous êtes-vous déjà imaginé déambuler dans les rues de Rome il y a un siècle ? Si vous avez répondu par l’affirmative à l’une de ces questions, la présentation de l’ouvrage qui va suivre va sans doute vous intéresser.
J’ai récemment eu la chance d’être invitée à l’Institut culturel italien afin de découvrir Italie, le Grand Tour par deux auteurs italiens : Giovanni Fanelli (professeur d’histoire de l’architecture à l’Université de Florence, directeur de collections) et Barbara Mazza (docteur en histoire de l’architecture et de l’urbanisme, directrice photo).
Le Grand Tour, c’est ce voyage initiatique de deux à trois ans, effectué par les élites européennes à travers le continent afin de parfaire leur éducation au XVIIIe et XIXe siècles. La principale destination de ce voyage était bien sûr l’Italie pour son foyer artistique foisonnant, l’occasion pour les jeunes voyageurs de parfaire leur éducation classique. C’est à ce voyage initiatique à travers des photographies d’époque par des artistes réputés (Leopoldo Alinari, Alphonse Bernoud, Robert Macpherson, Robert Rive, Giorgio Sommer…) que nous convie cet ouvrage.
Neuf destinations vous attendent : Turin, Gênes, Milan et les grands lacs, Venise et la Vénétie, Bologne, Florence et la Toscane, Rome, Naples et la Campanie, la Sicile.
Ces séries ont été réalisées en Italie au moment même des débuts de la photographie, aux origines de la discipline. Il s’agit alors de capturer une Italie de jadis qui n’existe plus mais dont l’âme perdure. En plus des légendes accompagnant les photographies, le texte est émaillé de citations d’auteurs du XIXe siècle ayant eux-mêmes effectué leur Grand Tour. S’élèvent tour à tour les voix d’Alexandre Dumas, Théophile Gautier, Henry James, Emile Zola… qui apportent le langage littéraire aux supports visuels. L’occasion pour le lecteur de découvrir les débuts des fouilles archéologiques de Pompéi et Herculanum, Venise et ses canaux ou les jardins de la Villa Médicis, d’explorer ce qui dans l’Italie d’hier se retrouve dans l’Italie d’aujourd’hui.
Turin – La Piazza Vittorio Emanuele I et le pont sur le Pô
Sur l’axe du pont, au-delà de la place (aujourd’hui, Piazza Vittorio Veneto), on remarque l’enfilade de la Via Pô jusqu’à la Piazza Castello et la colline. Sur le pont, on repère les voies typiques de passage pavées.
« Quelles places austères et solennelles ! Et le style du palais, sans prétention ; les rues propres et graves -, et tout bien plus digne que je ne m’y attendais ! Les plus beaux cafés que j’ai jamais vus ! Avec un climat si variable, ces arcades semblent correspondre à une nécessité ; elles sont si spacieuses qu’elles ne vous accablent pas. Soirées sur le pont du Pô : magnifique ! Par-delà le Bien et le Mal ! »
Friedrich Nietzsche, Lettre à Peter Gast, 7 avril 1888, lettre 247.
Le lac de Côme – Le Port de Bellagio
Au XIXe siècle, Bellagio devint un lieu de villégiature à la mode pour l’aristocratie lombarde et internationale. Au premier plan s’alignent de petites embarcations lacustres recouvertes d’une toile tendue sur une armature en bois en arc de cercle. La nav ou navet, bateau à fond plat de forme évasée, utile au transport de marchandises ou à la pêche, était dotée d’un mât pour supporter une voile rectangulaire, hissée lorsque le vent était favorable. Il naviguait néanmoins le plus souvent l’aide de rames, sa coque glissant aisément sur la surface de l’eau, tandis que le mât était placé à l’horizontale au-dessus de l’armature cintrée.
Venise – La Ca’d’Oro
Pour certains, les gondoles auraient été peintes en noir suite à une épidémie de peste survenue en 1630 et qui fit cinquante mille victimes ; pour d’autres, afin de freiner leur ornementation de plus en plus luxueuse, une ordonnance fut émise au XVIe siècle imposant à toutes le noir.
« Le gondolier incline soit davantage au gracieux -c’est selon-, lorsqu’il se tient dans « la deuxième position » d’un maître à danser, mais en s’autorisant dans le redressement de la taille une liberté de mouvement que désapprouverait ce technicien. […] Rien ne saurait être plus beau que la façon ample et ferme avec laquelle, de sa position avantageuse, il se lance par-dessus son terrible aviron. Cela possède la hardiesse d’un oiseau plongeur et la régularité d’un pendule. »
Henry James, Venice, 1882, dans Italian Hours, 1909.
Florence – L’Arno et le Ponte Santa Trinita
Sommer compose avec une grande maîtrise de son art les éléments du tableau : le long ruban du quai de l’Arno, animé seulement par une charrette arrêtée au bord du trottoir, le Ponte Santa Trinita, le Ponte Vecchio et, dans le fond, la colline de San Miniato, baignés dans la lumière intense de midi.
« Ma chambre d’hôtel donnait sur le fleuve et était toute la journée inondée de soleil. Il y avait sur les murs un absurde papier peint orange ; l’Arno, d’une nuance à peine différente, coulait en bas, et sur l’autre rive s’élevait la rangée des maisons jaunâtres, d’une extrême antiquité, moisissant et s’effritant, saillant et se bombant au-dessus du courant. […] Tout cet éclat et tout ce jaune étaient un perpétuel délice ; cela faisait partie du charme indéfini de la couleur dont Florence semble partout se parer où que vous posiez les yeux à partir du fleuve, de ses ponts et de ses quais. »
Henry James, Italy Revisited, 1877, dans Italian Hours, 1909.
Rome – Le jardin de la Villa Médicis
A la limite orientale de la terrasse qui s’étend devant la Villa Médicis, l’enfilade de statues, de sarcophages, de bancs et de pins suit le tracé des murs d’Aurélien. Au premier plan, à la marge droite, l’imposante statue de Minerve est mise en rapport en fonction d’un calcul précis avec la colonne sur piédestal que l’on aperçoit à l’arrière-plan à gauche. Les éléments verticaux se découpent sur un ciel dégagé, dans la lumière estivale de la mi-journée. Au centre, la présence discrète d’un vieil homme assis sur un banc créé un contrepoint symboliquement fort entre la jeunesse éternelle de la Minerve de marbre et la vie contemporaine soumise à l’érosion du temps. La statue de Minerve fait partie de l’ambitieux programme voulu par le cardinal Alessandro dei Medici qui fit l’acquisition du terrain en 1576. Amateur d’antiquités, il avait conçu la villa et le jardin comme un ensemble théâtral et scénographique d’œuvres d’art antiques. De Bonis a également réalisé ce cadrage en format horizontal.
Naples – La via Pallonetto di Santa Lucia
La rue monte, par larges marches, de Santa Lucia à Monte di Dio. De part et d’autre, il basso, l’habitation typiquement napolitaine : une pièce unique pour une famille entière, dépourvue quasiment de toute installation hygiénique, directement ouverte sur la rue, étouffante l’été, humide l’hiver lorsqu’elle était chauffée par un brasier ou simplement par les fourneaux de la cuisine, à peine différente d’une grotte.
Palerme – Charrette sicilienne
Au loin, la silhouette du Monte Pellegrino. Les charrettes appartenaient aussi bien au quotidien sicilien qu’au mythe folklorique de l’île. Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, elles commencèrent à être décorées et devinrent ainsi une expression paradigmatique de l’art populaire, ici, mis en valeur par la retouche de couleurs.
« Ces charrettes, de petites boîtes carrées haut perchées sur des roues jaunes, sont décorées de peintures naïves et bizarres qui représentent des faits historiques ou particuliers, des aventures de toute espèce, des combats, des rencontres de souverains, mais, surtout, les batailles de Napoléon Ier et des Croisades. Une singulière découpure de bois et de fer les soutient sur l’essieu ; et les rayons de leurs roues sont ouvragés aussi. La bête qui les traine porte un pompon sur la tête et un autre au milieu du dos, et elle est vêtue d’un harnachement coquet et coloré, chaque morceau de cuir étant garni d’une sorte de laine rouge et de menus grelots. Ces voitures peintes passent par les rues, drôles et différentes, attirent l’œil et l’esprit, se promènent comme des rébus qu’on cherche toujours à deviner. »
Guy de Maupassant, La Vie errante, 1890.
Cet ouvrage n’est pas simplement une collection de jolies photos d’une Italie révolue. Il est un puissant évocateur de mémoire. En le lisant, je me suis promenée en compagnie d’Oscar Wilde parmi les ruines de Taormine, projetée parmi les scientifiques ayant mis à jour Pompéi et j’ai songé à Stendhal et à son fameux syndrome. Italie, le Grand Tour m’a fait remonter le temps mais il m’a également surprise en me ramenant dans mon propre siècle. Quel étonnement de découvrir que, de nos jours, la Piazza della Signoria à Florence n’a pas changée ou si peu. Seul le style vestimentaire des touristes semble marquer le passage du temps. Un livre à l’image de la photographie de couverture : un instantané, un instant fugace mais suspendu à travers le temps.
Italie, le Grand Tour : dans le miroir de la photographie au XIXe siècle
de Giovanni Fanelli & Barbara Mazza aux Editions Nicolas Chaudun
26 x 24 cm / 356 pages