Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Bukowski : Shakespeare n'a jamais fait ça
La chronique d'Éric Neuhoff.
Il faut avoir vu ça. Bukowski à Apostrophes: les bouteilles de vin blanc, le psychiatre d'Artaud, la romancière dont il soulève la jupe, Pivot de plus en plus inquiet, le départ au milieu de l'émission.
L'écrivain américain semble en avoir gardé un souvenir assez flou, dans cet inédit qui avait échappé à la vigilance des éditeurs français. C'était en 1978. Il effectuait une tournée en Europe. Avec Bukowski, «tournée» est à prendre dans tous les sens du terme. Sa compagne Linda est à ses côtés. Ne refusant pas non plus souvent un verre, elle essaie néanmoins de tempérer sa consommation d'alcool. Il s'agit visiblement d'un job à plein temps. La mère de Linda vit à Nice. Le séjour là-bas est calamiteux. Bukowski s'est mis du monde à dos. Sa prestation télévisée a fait des dégâts. Les garçons de café le saluent en rigolant, mais pas question d'être reçu par la famille.
Direction l'Allemagne, où Bukowski veut revoir sa maison natale. À Mannheim, le Rhin était en crue. «Partout où je vais, je provoque toujours de terribles conditions météorologiques.»
Avec lui, la terre tremble. Les gueules de bois sont la règle. Les bagarres sont évitées de justesse. Il y a une lecture à Hambourg. On visite des châteaux, la cathédrale de Cologne. Tout cela barbe l'écrivain. «Je suis totalement indifférent aux choses qui intéressent la plupart des gens.» Ses traducteurs lui servent de guides. Cela trinque à tout-va. Une vendeuse le poursuit: «Vous êtes l'homme que je pourrais aimer à tout jamais.»
«Mes sentiments vont aux estropiés»
Dès qu'il monte dans un train, il se met à la recherche du minibar. Dans les hôtels, les réceptionnistes lui reprochent d'être trop bruyant. À l'hippodrome, il peste contre l'absence de panneaux d'affichage. Il rend visite à son vieil oncle. Bref pèlerinage devant la villa où il a grandi. Pas terrible, le vert paradis de l'enfance.
Sur le chemin du retour, Barbet Schroeder, qui réalisera plus tard Barfly, héberge le couple à Paris. Des photos agrémentent ce texte qui tient du carnet de voyage, de la confession, du livre de commande.
On y découvre un colosse barbu, voûté, en veste de velours et pantalon pattes d'ef. «Je fonctionne aux sentiments et mes sentiments vont aux estropiés, aux torturés, aux damnés, aux égarés, non par compassion, mais par fraternité, parce que je suis l'un des leurs.» L'impression domine d'une époque enfuie, libre, désordonnée, poétique.
Aujourd'hui, les programmes littéraires refusent le direct. On se demande bien pourquoi: les auteurs carburent à la Badoit et à la vanité. Sur la tombe de Bukowski, ces mots sont gravés: «Don't try» (n'essaye pas).
«Shakespeare n'a jamais fait ça», de Charles Bukowski, traduit de l'anglais (États-Unis) par Patrice Carrer et Alexandre Thiltges, 13 €, Note Éditions, 254 p., 19,50 €.
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