Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Jean Nouvel et la Philharmonie de Paris, la fin des «starchitectes»
Sur le chantier de la future Philharmonie de Paris signé Jean Nouvel, porte de la Villette, cet été à Paris. Crédits photo : PHILARMONIE DE PARIS
L'exemple du chantier de la salle de concert parisienne à l'architecture unique montre que l'heure n'est plus au dépassement de budget. Crise oblige, les architectes stars doivent serrer les coûts et ravaler leur ego.
Ambiance tendue sur le chantier de la future Philharmonie de Paris, porte de la Villette. Jean Nouvel ne décolère pas: comme d'habitude, il a eu des repentirs et a revu sa copie pour améliorer son projet de salle de concert. Mais cette fois, personne n'a voulu entendre ses propositions. Ni François Hollande qui ne l'a pas reçu. Ni Aurélie Filippetti, ni Bertrand Delanoë. L'architecte star se heurte toujours à la même réponse: on ne rallonge plus.
C'en est fini de la pure beauté du geste: il faut tenir les budgets (passés en l'espèce de 110 à plus de 387 millions d'euros avec les travaux d'études) et les délais (repoussés de 2013 à 2015). Pour Nouvel, c'est un véritable coup de semonce. Les dépassements sont l'usage en architecture. Les exemples ne manquent pas. À Lyon, le Musée des Confluences, porté par le conseil général, signé du cabinet autrichien Coop Himmelb(l)au, avec son «cristal» d'un côté et son «nuage» de l'autre, est passé de 60 millions au moment du projet, en 2001, à 267 millions aujourd'hui. Et dans la capitale des Gaules aussi la grogne monte. Avec un mot d'ordre: «Arrêter la mascarade».
Les temps ont changé. La crise sonne-t-elle le glas des caprices d'architecte? S'il n'est pas question de bouder les «starchitectes» qui, en signant des monuments souvent extraordinaires, célèbrent jusqu'en Chine et dans les Émirats l'image de la France et du savoir-faire de ses grandes entreprises du bâtiment, entre-t-on pourtant dans une nouvelle ère?
Explosion des frais de fonctionnement
Jusqu'ici, sur les chantiers publics, on n'a jamais vu un architecte pénalisé parce qu'il ne respectait pas les délais ou les budgets. Un bâtiment passe par un partenariat complexe entre les gens qui dessinent, ceux qui font un programme, définissent un budget, et construisent. L'architecte a beau jeu de se défausser sur les entreprises, et celles-ci sur une difficulté imprévue. «Le secret est de bien ficeler un projet en amont avec des temps d'études nécessaires pour ne pas alourdir les coûts», estime Jean-Michel Wilmotte qui vient de livrer en temps et dans le budget (166 millions d'euros) son grand stade «multifonctionnel» de 35.000 places, à Nice. Associé à Vinci, il était en concurrence avec le groupement Bouygues et les Ateliers Jean Nouvel.
«En France surtout, à cause de la procédure des concours, les dépassements font partie de l'ordinaire , explique ainsi l'architecte Odile Decq. Zaha Hadid qui annonce des budgets justes a du mal à remporter les concours. Jean Nouvel, au contraire, en rafle beaucoup. Il faut arrêter cette mascarade.» Qu'il s'agisse d'un monument emblématique ou d'un projet local, il est de règle dans les concours d'architecture d'annoncer des prix bas, pour faire adopter un projet éblouissant, sachant que le jeu des dépassements permettra de le réaliser.
«Cela vient de la faiblesse des maîtres d'ouvrage: les maires, sensibles à l'effet carte postale, sont prêts à beaucoup de sacrifices pour doter leur ville d'un nouveau bâtiment emblématique signé par une star», estime Xavier Fabre, architecte et professeur à l'École nationale supérieure d'architecture de Paris-Malaquais. Les considérations liées au coût de l'opération et à son fonctionnement sont vite balayées par les ambitions politiques d'un maire qui souhaite «marquer» son passage sur sa commune.
La leçon de Perret
«Les maires sont convaincus qu'un projet d'architecture réussi peut leur faire gagner une élection», indique François de Mazières, député maire de Versailles. «Au lieu de pratiquer l'acupuncture urbaine avec de multiples interventions qui tiennent compte de la réalité de leur tissu urbain, ils préfèrent convoquer une grande signature, convaincu qu'elle emportera les suffrages», reprend celui qui a porté la Cité de l'architecture et le Grand Paris sur les fonds baptismaux. Dans le projet de la ville de Lyon Confluence, dans celui de l'île Seguin à Boulogne, l'enjeu est politique, comme chaque fois qu'une ville refait un quartier ou même un bâtiment plus humble.
L'arme est à double tranchant. À Rouen, Pierre Albertini a été battu aux municipales en 2008 pour avoir commandé à Rudy Ricciotti une médiathèque à 44 millions d'euros, et à Jean-Paul Viguier un projet nommé «espace Monet cathédrale», qui suscitait la colère d'une immense majorité de la population rouennaise. Son adversaire, la socialiste Valérie Fourneyron, actuelle ministre des Sports, avait stigmatisé ces projets et promis de les arrêter, car ils étaient trop coûteux en construction et fonctionnement. «Je me suis battue un an avec Herzog & de Meuron, urbanistes du nouvel aménagement de Lyon Confluence, pour que la Maison de la danse qu'on va construire ne possède pas de salles en sous-sol. Celles-ci auraient induit un coût de fonctionnement de 400.000€ par an. Je préfère les garder pour une production que de les mettre dans l'électricité des ascenseurs et escalators», raconte Dominique Hervieu, sa directrice. Même dépit au Centre Pompidou Metz de Shigeru Ban, où les frais de fonctionnement ont explosé avec 1 million d'euros d'électricité par an.
Peu à peu, la réalité rattrape l'architecture et ses prestigieux serviteurs. «La crise est une opportunité de remettre un peu de sobriété, de sens et de poésie», dit Éric Lapierre, architecte, professeur à Sciences Po et auteur de L'Architecture du réel (Le Moniteur). «Nous sommes face à une discipline de la durée qui doit traverser les millénaires. Or, on est train de la réduire à du marketing urbain, avec une surenchère dans le spectaculaire. Bon nombre de formes architecturales sont mal adaptées à leur fonctionnalité, si bien qu'elles peuvent se démoder. Il faut revenir à la leçon d'Auguste Perret: des bâtiments de qualité, qui visent la permanence plutôt que la mode et ne s'épuisent pas au premier regard. Prenez l'exemple du Centre Pompidou à Paris. Aujourd'hui, son allure ne surprend plus personne, conclut-il. Mais sa qualité urbaine et fonctionnelle reste une leçon.»
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