Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

La cité judiciaire-Renzo Piano

Les couacs de la Cité judiciaire

Le Point - Publié le 21/02/2013

Le futur palais de justice suscite toujours autant d'inquiétudes.

L'architecte star, Renzo Piano, signe la future Cité judiciaire.L'architecte star, Renzo Piano, signe la future Cité judiciaire. © Maquettes : Augusto Da Silva/Graphix images

Par

Il y a eu de longs mois d'hésitation et de vives critiques professées par les "anti", une poignée d'avocats indignés qui, fédérés au sein de l'association La Justice dans la cité , auraient pu faire avorter le projet. Du moins jusqu'à ce que le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, soutenu par François Hollande, rende sa décision : le tribunal de grande instance quittera bien l'île de la Cité - seules resteront les cours d'appel et de cassation - pour s'enraciner dans le futur quartier des Batignolles, où une tour devrait fleurir d'ici à 2017, avec 90 salles d'audience capables d'accueillir jusqu'à 9 000 personnes au quotidien. Si le gouvernement a donné son feu vert, c'est parce que, entre-temps, il a reçu l'avis favorable de l'enquête d'utilité publique, lancée à l'automne de 2012.

Dans le 17e arrondissement, tous se réjouissent : en termes d'attractivité, c'est une opportunité formidable."Conçue par l'architecte star Renzo Piano, la tour, qui culminera à 160 mètres au-dessus de la porte de Clichy, sera un nouveau symbole pour Paris et un vrai plus pour le développement économique du futur quartier Clichy-Batignolles", se félicite la maire UMP, Brigitte Kuster. Pour l'heure,"s'il est difficile d'en estimer les retombées, souligne le député Bernard Debré, candidat à la mairie du 17e,une chose est sûre : le projet apportera un souffle nouveau au 17e nord, attirant de nouvelles populations et activités commerciales". Des arguments qui ne suffisent pas, toutefois, à apaiser les opposants, lesquels dénoncent les opacités du projet.

Un coût exorbitant

Le premier porte sur son coût. En réalité, on serait loin des 575 millions d'euros prévus initialement. Ce qui cloche ? La nature du contrat, un partenariat public-privé (PPP) signé sous Nicolas Sarkozy entre l'Etat et Bouygues, chargé de la construction du bâtiment et de son entretien, contre le versement par l'Etat d'un loyer pendant... vingt-sept ans."Il est bien connu qu'au final ce type de contrat coûte toujours 25 % plus cher", confie Me Cyril Bourayne, à la tête de l'association La Justice dans la cité . Entre les travaux et les loyers, le montant s'élèverait à 2,7 milliards d'euros, soit 90 millions d'euros par an. Ce montant, c'est la garde des Sceaux, Christiane Taubira, qui l'a dévoilé fin octobre, dénonçant à la barre de l'Assemblée nationale un projet "irresponsable". Et ce ne sont pas les conclusions du rapport commandé par Bercy à l'Inspection générale des finances qui la contrediront. Celui-ci pointe de graves défaillances, inhérentes à ce type de partenariat, qui contraindraient l'Etat à investir au-delà de ses capacités.

Un autre point fait rugir les opposants. Il s'agit d'une clause prévoyant, en cas d'annulation du projet, le versement par l'Etat de lourdes indemnités à Bouygues. Selon certains, le montant s'élèverait à 80 millions d'euros. Dans une lettre adressée, en novembre, au Premier ministre, Annick Lepetit, députée PS de Paris (17e et 18e arrondissements), pourtant favorable au projet, évoquait même 200 millions d'euros. Et Cyril Bourayne d'enfoncer le clou : "Dans un PPP, il y a normalement un partage des risques entre la personne publique et la personne privée qui semble, ici, inexistant. En cas d'annulation, non seulement le partenaire se retrouve bénéficiaire, mais en plus il se fait de l'argent sur le dos du contribuable." Cependant, l'avocat ne perd pas espoir : "Nous avons déposé trois recours pour faire casser le contrat. Et le tribunal administratif tranchera avant l'été."

Une tour "verte" ?

Brigitte Kuster assure que la future tour "verte" de Renzo Piano respectera à la lettre les normes édictées par le plan Climat (mise en place de systèmes de récupération des eaux de pluie, panneaux photovoltaïques, ventilation et éclairage naturels...). Mais, à en croire ses détracteurs, elle serait énergivore, coûteuse à entretenir et ne respecterait pas le Grenelle de l'environnement."Il s'agit d'une tour de 160 mètres de hauteur qu'il faut chauffer l'hiver et climatiser l'été, avec des jardins suspendus et des dizaines et dizaines d'ascenseurs", détaille le philosophe et urbaniste Thierry Paquot. Celui-ci soutient que, après des décennies de location et des millions d'euros injectés, lorsque le ministère de la Justice deviendra propriétaire du TGI, il ne lui restera plus qu'à lancer sa réhabilitation. Et pour cause : "L'espérance de vie d'une tour oscille entre vingt et vingt-cinq ans", lance le pourfendeur de la verticalité et des hauteurs vertigineuses.

La crainte des malfaçons

Pour les adversaires du projet, les failles seraient nombreuses. Et le magistrat Etienne Madranges n'est pas du genre à les dissimuler. C'est qu'il en a visité, des tribunaux et des palais de justice, avant de publier "Les palais de justice de France" (Lexis Nexis) : près d'un millier, dans la France entière. Et la liste des tribunaux condamnés avant même leur inauguration est longue, de Meaux à Narbonne en passant par Bordeaux, où les dysfonctionnements sont monnaie courante. Des petits riens, comme des fuites d'eau, des portes qui ne ferment pas, un manque flagrant d'espace, qui, s'accumulant, entravent le fonctionnement de l'infrastructure."On préfère faire confiance à une grande signature de l'architecture plutôt que mener des études en concertation avec les avocats ou les greffiers, qui possèdent une connaissance du terrain", regrette Etienne Madranges, qui ne cache pas ses appréhensions concernant le futur TGI, puisque "personne n'a été consulté". Sa principale crainte, c'est que l'installation ne soit pas adaptée aux besoins d'une justice moderne : "L'édifice a été imaginé selon une conception passéiste, semblant oublier que la justice de demain s'oriente vers la numérisation des fichiers et les audiences virtuelles." L'autre préoccupation porte sur la taille du futur palais qui devrait accueillir l'ensemble des services du tribunal de grande instance, actuellement répartis sur cinq sites, et les vingt autres tribunaux d'instance de la capitale."Il ne faut pas être un spécialiste pour comprendre qu'avec 61 500 mètres carrés le futur TGI est trop petit, dit Cyril Bourayne. L'actuel palais de justice sur l'île de la Cité fait déjà 50 000 mètres carrés et il faudra ajouter les services du TGI répartis sur cinq sites et les vingt tribunaux des arrondissements." Un casse-tête.

http://www.lepoint.fr/villes/les-couacs-de-la-cite-judiciaire-21-02-2013-1634846_27.php

Les commentaires sont fermés.