Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Tel-Aviv Confidential
LE MONDE DES LIVRES | 03.04.2014 à 13h02 • Mis à jour le 03.04.2014 à 15h33 | Par Macha Séry
Sur une plage de Tel-Aviv. | AP/Oded Balilty
Dominé par les Anglo-Américains, le genre policier s’est largement mondialisé depuis quinze ans. Au point que n’importe quel amateur de polars est capable aujourd’hui de citer un ou deux noms d’auteurs à succès, qu’ils soient italiens, norvégiens, suédois, espagnols, écossais… Concernant Israël, jusqu’à présent, c’était moins simple. Si cet Etat de 8 millions d’habitants a réussi à exporter ses séries télé – telles « Hatufim », adapté aux Etats-Unis sous le titre « Homeland », ou « Betipul » (« En analyse » en V.F.) –, la mort en 2005 de Batya Gour, la « P. D. James israélienne », avait laissé les lecteurs étrangers orphelins. Qui connaît par exemple le roi du thriller Ram Oren, dont un seul roman a été traduit en français ?
Or, voici que paraissent simultanément deux romans annonciateurs d’un intérêt croissant des éditeurs hexagonaux, mais aussi d’une nouvelle génération d’auteurs qui rivalisent brillamment avec Henning Mankell et Jo Nesbo. Histoire d’un Erythréen suspecté d’avoir tué une activiste des droits de l’homme, Terminus Tel-Aviv, de l’avocat Liad Shoham, échafaude une intrigue complexe sur le sort réservé aux immigrés clandestins en Israël, victimes de réseaux mafieux et boucs émissaires de l’extrême droite. Quant à Dror Mishani, il propose une brillante enquête truffée de fausses pistes dans Une disparition inquiétante.
UN PAYS PETIT ET DES VOISINS INQUISITEURS
Dans les deux cas, pas d’écho du conflit israélo-palestinien. Rongée par les mêmes maux – fracture géographique, violence urbaine, inégalités sociales, discriminations –, Tel-Aviv ressemble, sous la plume de Liad Shoham, à une capitale d’Europe de l’Ouest. Dans sa lointaine banlieue, Holon, décor du roman de Dror Mishani, est une ville grise, sans charme ni qualité.
Dans The Times of Israël, le 8 novembre 2013, Liad Shoham énumérait avec humour les différentes raisons pour lesquelles il demeure difficile d’écrire des romans à suspense en Israël. Impensable pour l’opinion publique, par exemple, de croire en l’existence d’un tueur en série ou d’un individu qui mènerait une existence incognito. Le pays est trop petit et les voisins, inquisiteurs – « D’où venez-vous ? Connaissez-vous Untel ? Dans quel régiment avez-vous fait votre service militaire ? » – , le démasqueraient aussitôt.
« Pourquoi les policiers vont-ils toujours par deux ? Pour qu’il y en ait un qui sache lire et l’autre écrire », dit une blague célèbre en Israël. Liad Shoham confirme que la police y pâtit d’une telle réputation d’inefficacité et de balourdise qu’imposer un commissaire comme personnage principal relève d’une sacrée gageure. Aussi faut-il saluer la percée sur la scène internationale de son inspectrice Anat Nahmias, en butte au sexisme et à l’aveuglement de sa hiérarchie, et d’Avraham Avraham, un quadra peu sûr de lui dont Dror Mishani écrit actuellement la troisième aventure.
LES ROMANS POLICIERS INDIGNES DE L'HÉBREU
Ce trentenaire a découvert les œuvres de Simenon, David Goodis et Jim Thompson lors d’un séjour en France. Car, jusqu’à une date récente, les romans policiers, considérés comme indignes de l’hébreu, précise-t-il, étaient peu traduits. « Israël est le seul pays au monde où les aventures de Sherlock Holmes et d’Hercule Poirot sont publiées dans des collections destinées aux enfants. La littérature israélienne doit traiter de l’identité nationale, de l’histoire juive. D’ailleurs, les petites tragédies humaines, les crimes civils dépourvus de dimension symbolique, ne font jamais la “une” des journaux », dit-il au « Monde des livres ».
Mais, bonne nouvelle, une évolution se dessine. Une disparition inquiétante a concouru pour le prix Sapir, l’équivalent du Goncourt, et les romans de Liad Shoham sont tous des best-sellers. Peut-être le début d’une nouvelle vague après l’engouement pour le polar nordique.
Une disparition inquiétante (Tik N’Edar), de Dror Mishani, traduit de l’hébreu par Laurence Sendrowicz, Seuil, « Policiers », 336 p., 21 €.
Terminus Tel-Aviv (Ir miklat), de Liad Shoham, traduit de l’hébreu par Jean-Luc Allouche, Les Escales, 384 p., 21,90 €. Signalons, du même auteur et par le même traducteur, la parution en poche de Tel Aviv Suspects (Misdar zihoui), 10/18, 384 p., 7,80 €.
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