Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Dîner à l'école des grands chefs
Le Chef Éric Robert, MOF 2000, et Alexandra Maubant en troisième année à l'école Ferrandi à Paris. Crédits photo : X.RENAULD/Ecole Ferrandi
De Ferrandi à l'Institut Bocuse, les restaurants des écoles de cuisine sont d'un rapport qualité-prix exceptionnel.
Le 28 à l'École Ferrandi à Paris, le Château du Vivier de Paul Bocuse à Écully, au nord de Lyon, La Table d'Albert à Paris, Vatel à Nîmes, Le Vieux Carré à La Rochelle, Le Perdiguier à Arles, Le Paludier à Guérande, l'Atlantic à Saint-Nazaire, Les Mûriers à Toulouse…
Ces établissements réputés ne figurent pas dans les guides. Et pourtant, ils sont ouverts à tout le monde. Les toqués de demain y officient. Du coup, c'est le pré carré des gourmands: le bouche-à-oreille est roi. Pour rejoindre les initiés, il suffit de surfer sur Internet. Chaque école y publie ses menus. Les photos des plats prises par les élèves sont sur Facebook et sur Instagram. Il faut un peu fouiner car la publicité leur est interdite. Il ne s'agit pas de s'attirer les foudres des «vrais» restaurants. Pour déjeuner ou dîner dans ces lieux d'exception, il faut s'y prendre à l'avance. Comptez de quinze jours à trois mois d'attente.
Que les écoles dépendent d'une chambre de commerce et d'industrie (CCI) ou de l'un des 200 lycées hôteliers de l'Éducation nationale, chaque restaurant compte environ 50 couverts. «On pourrait en avoir 200 pour répondre à la demande mais il faut que cela reste une école», explique l'un des chefs de Ferrandi, Guy Casalta. Les places sont d'autant plus chères que les jours d'ouverture sont restreints. Oubliez les vacances scolaires, les week-ends et les jours fériés: c'est fermé. Le soir, seuls les élèves majeurs ont le droit de travailler. Pour décrocher une table chez Ferrandi, il faudra téléphoner en septembre. À La Rochelle, les réservations au Vieux Carré sont ouvertes tous les deux mois. Une façon aussi d'entraîner régulièrement les élèves à la réception. «Si on ouvrait le 1er septembre pour l'année, on serait complet quarante-huit heures plus tard», explique Frédéric Péré, chef des travaux du lycée hôtelier. Avec ses baies vitrées qui donnent d'un côté sur les majestueuses tours médiévales et de l'autre sur les voiliers du port des Minimes, ce restaurant d'application est l'un des plus beaux de France. L'autre est le château du Vivier, à Écully. C'est dans cette propriété entourée de verdure, à quinze minutes au nord de Lyon, que s'est installé l'Institut de Paul Bocuse.
Chez Bocuse comme chez Ferrandi, les écoles ont souvent deux restaurants, le bistrot et le gastronomique. De 18 à 20 euros pour un déjeuner jusqu'à 45 euros maximum pour un dîner. Dans l'un, les élèves sont mineurs, en CAP ou en bac pro. Dans l'autre, ils sont majeurs et bac + 3. Mais le principe est le même. Comme les «pioupious» doivent s'entraîner à toutes les ficelles du métier, en salle comme en cuisine, la carte change tous les jours. Le soir, ils s'initient plus particulièrement aux codes de la haute gastronomie: amuse-gueules, mignardises, service sous cloche…
Le cérémonial est plus étudié qu'à midi. Les plats évoluent en fonction de l'avancée pédagogique des futurs toqués. La gastronomie régionale est privilégiée. «On travaillait toujours des produits d'exception comme le bar de ligne, le saint-pierre…», se souvient Alexandre Balagna, promo 2011 de l'Institut Bocuse, aujourd'hui demi-chef de partie chez Jean-Michel Lorain, au Relais & Châteaux La Côte Saint-Jacques, en Bourgogne. Souvent bio, les produits sont toujours de saison. À Armentières, les légumes du moment comme les betteraves rouges mais aussi la mâche, le thym, la ciboulette et les échalotes sont livrés chaque matin par le lycée horticole voisin de Lomme. À La Rochelle, les huîtres Label rouge Marennes-Oléron arrivent d'Oléron, les lapins de l'île de Ré, les truffes de Charente-Martimes, le cognac de Cognac… «À l'automne, le gibier nous est fourni par la Fédération des chasseurs, explique Frédéric Péré. Nous décidons d'une race en fonction de la reproduction du cheptel. En 2013, nous avons ainsi cuisiné du sanglier et de la perdrix rouge.»
Chez Ferrandi, des petits pois au poulpe, toutes les commandes se font par des marchés publics à Rungis. Le fournisseur qui a la chance d'être sous contrat pour trois ans est surveillé de près pour que la qualité soit toujours la meilleure. «Bien sûr, s'il nous manque un petit quelque chose, on peut toujours courir à la Grande Épicerie du Bon Marché, juste à côté», sourit Christophe Darney, l'un des chefs de l'école. Ne rêvez pas, il n'y a pas truffe à gogo tous les midis. À la différence des «vrais» restaurants, le profit n'est pas un objectif. L'exercice doit rester 100% pédagogique. Sous chaque menu élaboré par les élèves figure le coût de revient. En fin d'année, le chiffre d'affaires de la salle doit juste couvrir le montant des denrées, le loyer et le salaire des professeurs.
La clientèle qui aime la bonne chère n'a rien à voir avec celles des écoles de coiffure. «Au déjeuner, ce sont des habitués qui ont du temps, des retraités, par exemple, constate le proviseur du lycée des Flandres à Armentières, Claude Lenglain. Au dîner, l'ambiance est plus jeune. Les gourmands viennent de 40 kilomètres à la ronde.» Pour entraîner leurs étudiants à des contraintes spécifiques comme un temps et un menu imposés, ces restaurants gastronomiques se sont ouverts à la clientèle des entreprises, notamment aux comités de direction. «Les cadres du groupe d'électroménager SEB et ceux du laboratoire Mérieux viennent en voisins», témoigne Hervé Fleury, directeur général de l'Institut Bocuse à Écully. Même s'il est conseillé d'aimer l'ambiance étudiante, les grincheux sont bienvenus! «Nous y tenons car nos étudiants doivent apprendre à gérer un client difficile», sourit Frédéric Péré, du Vieux Carré, à La Rochelle.
Pourquoi un tel succès? Ces restaurants sont évidemment un «bon plan». Mardi, à La Rochelle, déguster au déjeuner des asperges sauce mousseline ou un cannelloni de poisson et fruits de mer suivi d'un panaché de poisson au curry ou d'un carré d'agneau et pommes de terre à l'ancienne pour finir sur de délicates pâtisseries a été facturé 18 euros (!). Pour un dîner, comptez 23 euros. Si les vins ne sont pas compris, ils sont facturés sans marge. Au final, l'addition revient quatre à cinq fois moins cher qu'un vrai «gastro». Comme à Écully chez Bocuse, où officie Alain Le Cossec, le chef est souvent un MOF (meilleur ouvrier de France). Outre sa haute toque, on le reconnaît à sa collerette bleu-blanc-rouge. Les inspecteurs du Michelin ne l'avoueront jamais, mais le niveau du service comme de l'assiette est au moins d'une étoile. À cela s'ajoute le plaisir de découvrir les stars de demain. À Armentières, on a pu croiser Mickaël Cnigniet, aujourd'hui chef de rang chez Manuel Valls à Matignon, ou encore Mathieu Demazure, élu barista 2014 à Londres. Les sommeliers Vincent Javaux chez Ledoyen et Baptiste Gillet au Bristol sortent de l'École hôtelière de La Rochelle. Chez Ferrandi, on égrène tout aussi fièrement les nombreuses stars issues de la maison: Amandine Chaignot, chef au Raphaël, ou encore Kristin Frederick, star des foodtrucks de la capitale.
Mais, il ne faut jamais oublier que ces établissements ne sont pas tout à fait des restaurants comme les autres. Ils restent des salles de classe où l'on apprend à ouvrir une bouteille, à flamber des crêpes… Chez certains, la déco remonte aux seventies. Le décalage avec l'assiette peut être gratiné. Ce défaut est désormais pris en compte. Chez Ferrandi, Le 28 va être entièrement lifté cet été: finie la moquette aux fines rayures dans les tons orangés: place au blanc, plus épuré, plus chic. «Dans ces restaurants, on touche à la finalité de notre métier, souligne Alexandre Balagna. La théorie, c'est très bien, mais la mise en place, un vrai service, le coup de feu… On se rend compte des horaires qu'implique notre métier.»
Autant de raisons pour se montrer plein de bienveillance devant les petites erreurs des oisillons. On voudrait bien vous y voir! Il faut aussi jouer le jeu. À table, tout le monde ne prend pas des saint-jacques. Il faut équilibrer la commande pour permettre aux élèves de s'entraîner sur différentes matières. Côté horaires aussi, il convient d'être ponctuel. Après le déjeuner, les élèves filent en cours. Le soir, ils ne doivent pas rentrer après minuit. Surtout à Paris, où ils prennent le métro. Mais de tout cela, le «pioupiou» n'en dira rien. C'est un passionné.
L'Institut restaurant-école Paul Bocuse, Lyon (69).Tél: 04 78 37 23 02 Les Saisons, Écully (69). Tél.: 04 72 18 02 20.
Le Vieux Carré, La Rochelle (17), Tél.: 05 46 44 20 60.
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