Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
ODES, livre de John Keats
Une mélancolie active
L'Ode à l'indolence apparaît inaugurale, et figure l'entreprise poétique en gestation. À ce stade encore préparatoire, indolence rime avec latence ; trois formes spectrales passent et repassent devant les yeux clos du poète couché dans l'herbe ; il s'interroge sur leur identité, se demande paresseusement comment les actualiser, avant de renoncer. L'Ode à Pysché est dédiée à la déesse qui ne fit jamais l'objet de culte : Keats entendait réparer cet oubli. À la différence de celles qui vont suivre, cette ode doit encore beaucoup au schéma « irrégulier » que les poètes anglais Wordsworth et Coleridge avaient adopté avant lui. Elle formalise le mouvement d'intériorisation qui caractérise sa poétique, lorsque la déesse est conviée à trouver refuge « En quelque région inviolée » de l'esprit du poète, sanctuaire inviolable et siège de son imagination fertile. L'Ode sur la mélancolie donne peut-être la clé de toutes les autres. Nourrie de l'ouvrage de Robert Burton, Anatomie de la mélancolie (1621), elle prend le contre-pied des représentations classiques de la mélancolie, morose et funèbre. Sur le mode du déni, elle donne congé à la fausse mélancolie morbide, pour lui préférer une mélancolie active, occupée à goûter la beauté périssable des choses. La forte composante orale de la poésie keatsienne s'intensifie à l'idée des sacrifices exigés par la déesse Mélancolie : « La Mélancolie voilée a son sanctuaire souverain,/ Visible toutefois seulement à qui, d'une langue puissante,/ Sait faire éclater sur son fin palais les raisins de la Joie ;/ Son âme amèrement goûtera le pouvoir de la déesse,/ Et parmi les nuageux trophées sa dépouille sera suspendue. » L'Ode à un rossignol met en scène un dialogue, ardemment souhaité, mais finalement impossible, avec l'autre qu'est l'oiseau. Se manifeste l'extrême empathie keatsienne, faite d'adhésion à l'intimité des choses et des êtres, quand la conscience du poète se dépossède d'elle-même pour s'identifier à la joie du rossignol tapi dans la pénombre d'une chaude nuit d'été. Enviable, l'oiseau au chant immortel ignore le déclin et l'infirmité trop humaine. Insidieusement, la tentation de l'abandon au sommeil de la mort gagne du terrain, l'heure étant amoureusement propice. Brutalement dégrisé, le poète comprend qu'il lui faut se refuser à la mort, sous peine de se voir transformé en une vaine « poignée d'argile », sourde au noble requiem du rossignol. La dernière strophe du poème opère le nécessaire retour à la réalité, quand le poète est rendu à son moi « abandonné ».
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