Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
La Fondation Louis Vuitton déploie ses ailes
Mardi 18 décembre, bois de Boulogne, pose de la dernière pierre : 400 ouvriers ont acclamé Bernard Arnault, qui a dédicacé des casques de chantier : certains travaillaient sur le projet depuis onze ans. © Vincent Capman
Bernard Arnault en rêvait, Frank Gehry l’a fait ! Pour rassembler toutes ses collections d’art contemporain, le musée verra le jour en septembre 2014. Visite de chantier, en avant-première.
« Dès mon arrivée dans le groupe, en 1991, Bernard Arnault me fit clairement part de sa volonté de lancer une fondation pour l’art et la culture qui marquerait Paris d’un geste architectural fort, en faveur du plus grand public, les jeunes en particulier », explique Jean-Paul Claverie, conseiller du président du groupe LVMH. Conscient de l’impact mondial de la culture française sur le succès de ses maisons, l’idée de bâtir un musée pour soutenir la création artistique et enrichir le patrimoine tricolore va ainsi mettre plus de vingt ans à se réaliser, allant de pair avec la mise en oeuvre par LVMH d’un mécénat ambitieux.
En outre, il y a longtemps que le patron du groupe de luxe témoigne de sa passion pour l’architecture partout sur la planète : à Tokyo, notamment, l’immeuble Dior a été dessiné par l’architecte japonaise Kazuyo Sejima ; à New York, le Français Christian de Portzamparc a conçu la LVMH Tower, siège du groupe en Amérique. Juste retour des choses, pour la Fondation Louis Vuitton, le nom de l’Américano- Canadien Frank Gehry s’est imposé. Pourquoi ? « En 2002, j’ai été bouleversé en découvrant le musée Guggenheim de Bilbao, la structure innovante du bâtiment, les assemblages singuliers de pierre et de verre », explique Bernard Arnault. Restait à trouver le lieu.
Le plan local d’urbanisme autorisait la reconstruction, mais au mètre carré près !
Quelques années plus tôt, malgré la contrainte sensible du site, une étude est entreprise à la demande de Jean-Paul Claverie concernant la faisabilité du musée au Jardin d’acclimatation, un parc historique dédié aux enfants, situé dans la partie nord du bois de Boulogne, dont la concession, octroyée par la Ville de Paris, est détenue par le groupe LVMH. Bilan ? Le PLU (plan local d’urbanisme) autorisait à détruire pour reconstruire au mètre carré près. Il s’agissait de surfaces laissées par des bâtiments disparates ou vétustes construits au fl des années depuis Napoléon III. Mais tous regroupés, ces espaces ne permettaient pas la réalisation d’un bâtiment audacieux et utile. En 2002, le Bowling de Paris, situé dans la partie sud du parc, est à vendre. La société américaine propriétaire souhaite s’en défaire. Le bâtiment présente pour le public des risques qui inquiètent la Ville de Paris : amiante, sécurité incendie défaillante, etc.
Le groupe le rachète, disposant ainsi de plus de 4 000 mètres carrés supplémentaires. Tout est alors allé très vite : Bernard Arnault invite Frank Gehry en France pour visiter le Jardin d’acclimatation. Francophile et cultivé, l’architecte, qui s’est formé à Paris pendant deux ans dans les années 1960, est bouleversé. Il cite Proust, à la grande surprise de ses interlocuteurs. Le soir même, dans l’avion qui le ramène à Los Angeles, il noircit un carnet entier de croquis où se profile, déjà, la silhouette singulière du bâtiment tel qu’il sera onze ans plus tard. Qui est Frank O. Gehry ? En 2005, « Vanity Fair » a demandé à 90 grands architectes internationaux, des enseignants et des critiques, de citer les cinq édifices récents les plus marquants au monde. Le musée Guggenheim de Bilbao est largement arrivé en tête.
Malgré son statut considérable, M. Gehry est resté un homme simple et charmant mais toujours audacieux. Né à Toronto au Canada, il est devenu américain et a monté son agence d’architecture à Los Angeles en 1962. Prix Pritzker en 1989 (l’équivalent du Nobel), il cultive sa passion pour les églises romanes et les cathédrales. « Quand j’ai vu celle de Chartres, j’ai fait pipi dans mon pantalon », dit-il avec humour et dévotion. L’artiste n’est pas un étranger chez nous ; il est fou de Paris, « où il aimerait vivre », comme de la France de Matisse, de Le Corbusier ou de Derrida. « Ce que j’ai aimé dans notre collaboration, souligne Bernard Arnault, c’est que depuis le départ nous avons beaucoup parlé. Il écoutait mes suggestions, mes idées. Nous avons eu un dialogue permanent qui m’a donné la sensation de partager la conception au lieu d’en être exclu. » Au final, à deux pas de la porte Maillot, avenue du Mahatma-Gandhi, un grand vaisseau de 11 700 mètres carrés déploie ses douze voiles de verre, chacune drapant avec légèreté la structure intérieure d’un blanc immaculé, appelée « Iceberg ».
Un bâtiment riche d’une trentaine de brevets technologiques novateurs
Le corps du bâtiment offre onze galeries dédiées à la présentation des collections, aux interventions d’artistes et aux expositions temporaires, auxquelles il faut ajouter un auditorium de près de 400 places. « Si la création d’un vêtement peut être parfois comparée à de l’architecture, celle de Frank Gehry est, sans conteste, de la haute couture, remarque Jean-Paul Claverie. Le bâtiment symbolise la créativité et la virtuosité qui nous ramènent au coeur même des valeurs qui font l’identité de LVMH, de Louis Vuitton en particulier. » Face à tant de beauté, on oublierait presque les obstacles juridiques qui ont failli faire capoter le projet. La polémique a duré trois ans. En leur temps, les projets les plus emblématiques ont toujours suscité la polémique : la tour Eiffel, le Centre Pompidou ou la pyramide du Louvre ont fait face aux mêmes lourdeurs.
« La force du geste de mécénat de Bernard Arnault est bien d’avoir permis une oeuvre architecturale majeure, un musée exceptionnel, précise Jean-Paul Claverie. Mais c’est aussi, pour y parvenir, en amont, d’avoir pris le risque de l’impossible, c’est-à-dire la mise en place d’un remarquable programme d’innovation technologique ultraperformant, porté par une centaine d’ingénieurs, des centraliens, des polytechniciens qui ont rendu réalisable la vision architecturale exacte de Frank Gehry, son rêve d’artiste. Sans cela, rien n’aurait été possible. On ne savait pas construire un tel édifce. Chose rarissime dans le monde de l’architecture, le bâtiment est riche d’une trentaine de brevets technologiques novateurs. » Avec ce nuage de verre posé sur les arbres du Jardin d’acclimatation, la Fondation Louis Vuitton affiche son engagement fort pour l’art contemporain. Qu’en pensait Jean Arnault, industriel reconnu dans le domaine de la construction publique ? « Jusqu’en 2010, mon père a assisté à la sortie de terre de ce magnifique projet qui, bien sûr, le passionnait. »
Dans le site très particulier du bois de Boulogne – ancienne forêt de Rouvray aménagée à la demande de Napoléon III par Jean-Charles Alphand –, tout est sous contrôle malgré l’ampleur des travaux. La démarche environnementale exemplaire (norme HQE) est une garantie de bonne gestion des ressources et du lieu. Un gage pour les cinquante- cinq prochaines années, au terme desquelles la Fondation Louis Vuitton appartiendra à la Ville de Paris et à tous les Français. Un beau cadeau !
Le 18 janvier 2014 | Mise à jour le 18 janvier 2014
Marie-France Chatrier
http://www.parismatch.com/Culture/Art/La-Fondation-Louis-Vuitton-deploie-ses-ailes-544735