Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Plus que des œuvres, ces tableaux impressionnistes sont des apparitions
LE MONDE | 19.02.2014 à 08h45 • Mis à jour le 19.02.2014 à 18h48 | Par Philippe Dagen
"Bénerville, la plage 1890", d'Eugène Boudin. | COLLECTION PARTICULIÈRE
L'exposition ne s'annonçait pas de la meilleure des façons. Une présentation de peintres impressionnistes au Musée Marmottan, résidence permanente de Claude Monet à Paris : le projet ne surprend pas par son originalité. La vue du catalogue n'arrange rien : un Renoir doucereux en couverture, un titre vague – « Les impressionnistes en privé » – et un sous-titre trop flatteur – « Cent chefs-d'œuvre de collections particulières ». Il n'y en a évidemment pas cent. Mais il y en a cinq ou six, ce qui suffit à justifier la visite. Des Etats-Unis, où se trouvent la majorité des collections privées sollicitées, viennent des toiles rarement ou jamais vues.
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Puisqu'il est ici chez lui, il convient de commencer par Monet. A Trouville (Calvados), à l'été 1870, avant de se réfugier à Londres en raison de la guerre, il peint trois fois les planches, les tentes, les façades des maisons juchées sur le talus au-dessus de la mer. Celle-ci, on ne la voit qu'à peine dans la version exposée et c'est un de ses intérêts. Monet, à cette date, se soucie moins des effets atmosphériques que de montrer à quel point tout est artificiel à Trouville, des architectures balnéaires blanches aux robes blanches des promeneuses.
Le thème du voyage imaginaire à travers l’Asie Centrale, idée centrale de la collection dernière de la jeune marque russe Ulyana Sergeenko, a conquis de nombreux critiques de mode.
Un deuxième Monet, Voilier au Petit-Gennevilliers, vaut par son harmonie en gris, de l'eau au ciel et à la voile. Les autres sont, si l'on ose ce sacrilège, des Monet moyens, souvent touristiques, de ceux qui ont assuré à l'artiste, à partir des années 1880, son aisance matérielle. Ils relèvent, comme les Pissarro et les Sisley, du paysagisme impressionniste devenu style, avec ce que le mot sous-entend de répétition et d'ennui. De même, les Morisot et les Renoir relèvent de l'impressionnisme côté scène de genre bourgeoise, aussi prévisible.
Gustave Caillebotte : "Rue Halévy, vue du sixième étage", 1878, huile sur toile - collection anonyme. | © COLLECTION ANONYME/DALLAS
Aucun ennui, à l'inverse, chez Gustave Caillebotte. Un refuge, boulevard Haussmann et Rue Halévy, vue du sixième étage tentent la vue d'en haut, prennent le risque du vertige et préfigurent les géométries angoissantes de De Chirico. Les autres Caillebotte déconcertent autant. Une femme en noir vue de dos empêche de regarder à travers la vitre – ce dont se moque l'homme assis qui lit son journal. Scène satirique ? Dans les vues des serres et plantations du Petit-Gennevilliers où les Caillebotte avaient leur propriété, il y a trop de fleurs, trop de feuilles, trop de murs, trop de lumière aussi. On étouffe. Caillebotte, peintre de la vie moderne ou du malaise moderne ?
Restent deux œuvres d'une puissance encore supérieure. Pagans et le père de Degas est une toile hallucinante. Edgar Degas la peint après la mort de son père. Le guitariste et ténor Lorenzo Pagans, au premier plan, ne chante pas et a, sur le visage, un air de suffisance un peu sotte. Le vieil homme, relégué à l'arrière-plan, est enfermé dans une solitude telle que l'on ne peut que supposer qu'il pense à sa mort prochaine. La toile est à peine peinte, avec des frottis de différents rouges et bruns, des lignes esquissées et interrompues, des taches et des touches qui sont à peine des allusions aux objets.
"Un bar aux Folies-Bergère", d'Edouard Manet. | COLLECTION PARTICULIÈRE
Et puis il y a Edouard Manet : une seule toile, mais prodigieuse, l'esquisse pour Un bar aux Folies-Bergère. Profondément différente de la toile finale, elle ne décrit pas le lieu, les costumes, les rites mondains. Ce n'est pas une représentation, mais une apparition. La peinture célèbre la beauté de la serveuse, sa chevelure, ses lèvres. Dans le tohu-bohu du bar, cette femme est une déesse – Vénus – que le regard de Manet a seul su reconnaître. Il la dégage de tout ce qui l'entoure, qui n'est que fumées et fantômes. Un homme, l'unique autre figure visible de la toile, la dévisage. On dirait un autoportrait de Manet.
De ce dernier, le Musée Marmottan conserve un portrait dessiné par Degas du temps où ils étaient amis. Il est désormais exposé au premier étage, dans des salles nouvellement aménagées – fort bien – à proximité de l'un des portraits de Berthe Morisot par Manet, la petite version, la plus amoureuse. Autre vrai chef-d'œuvre.
"Le Moineau", d'Eva Gonzalès. | COLLECTION PARTICULIÈRE/KRAUSE & JOHANSEN
Les impressionnistes en privé, Musée Marmottan, 2, rue Louis-Boilly, Paris 16e. Tél. : 01-44-96-50-33. Du mardi au dimanche de 10 heures à 18 heures, le jeudi jusqu'à 20 heures Entrée : 10 €. Jusqu'au 6 juillet.