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Vincent Carpentier et Philippe Leveau - Archéologie du territoire en France. 8 000 ans d’aménagements

Collection “ Archéologie de la France ”, La Découverte / Inrap, Paris, 2013, 176 p
Alain Ferdière
p. 468-471
Référence(s) :

Vincent Carpentier et Philippe Leveau - Archéologie du territoire en France. 8 000 ans d’aménagements, collection “ Archéologie de la France ”, La Découverte / Inrap, Paris, 2013, 176 p.

 

 

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Texte intégral

1Le volume, comme on s’en aperçoit dès l’introduction, aurait pu s’intituler “ Archéologie du paysage ”, terme récusé d’emblée par les auteurs comme trop marqué par son historiographie récente, comme concept dévoyé et terme polysémique. Cependant, le vocable “ archéologie du territoire ” est à mon avis tout aussi ambigu et marqué, et l’on aurait sans doute préféré, pour plus de clarté sur son contenu, que ce petit volume porte un titre tel que “ archéologie du paysage anthropisé ”, puisqu’il s’agit de l’aménagement du territoire par l’Homme, sur le temps long, comme il se doit pour une telle approche.

2Les auteurs sont tous deux spécialistes des périodes historiques : Vincent Carpentier, archéologue à l’Inrap, pour la période romaine et surtout le Moyen Âge, et Philippe Leveau – qu’on hésite à présenter compte tenu de sa notoriété – notamment pour ses travaux pionniers en matière d’archéologie de l’environnement, justement –, spécialiste de l’Antiquité romaine en Gaule et régions méditerranéennes.

3Selon les principes de la collection, le sujet est traité, de manière assez complète, dans ce petit volume, en sept chapitres, largement éclairés par de suggestifs encadrés d’études de cas. Ceux-ci, comme habituellement aussi dans cette collection, portent en priorité sur les travaux de l’Inrap. Après un avant-propos explicite de 15 pages, c’est d’abord l’aménagement des “ contextes naturels ” qui est examiné, à travers trois chapitres respectivement sur les cours d’eau, les montagnes et le littoral. La partie centrale de l’ouvrage concerne l’étude de deux zones humides, en guise de mise en perspective, et précède petit un dossier de cartes. Suivent enfin trois chapitres concernant les milieux ou territoires construits par l’homme à travers ses aménagements, à savoir la campagne, l’hydraulique et la ville, ce dernier milieu où l’anthropisation finit par dominer massivement la part du “ naturel ” et par le remplacer. Le choix des thèmes traités comme des études de cas est certes arbitraire, pour un sujet aussi vaste, mais globalement pertinent, compte tenu du relativement faible nombre de pages des volumes de cette collection.

  • 1 Qui, comme pour ces différents autres colloques, n’a alors fait que récupérer un sujet qui devenait (...)
  • 2 Avec, dès lors, Gérard Chouquer, Monique Clavel, François Favory, entre autres…
  • 3 Petite erreur – confusion avec le Congrès d’archéologie urbaine de Tours en 1980 ? – car ce colloqu (...)

4Le court texte de page 4 de couverture évoque malgré tout la “ compréhension du paysage ” – sous-entendu “ anthropisé ” – et le terme d’“ archéologie du paysage ” est discuté dans l’avant-propos, en renvoyant (de manière un peu rapide et en partie inexacte au plan historiographique) à l’influence de Raymond Chevallier1 et à l’“ école de Besançon ”2 dans les années 1980. Mais le propos de l’ouvrage n’est pas de tracer en détail l’historique du sujet, même si cet avant-propos se veut pour partie historiographique… Les archéologues travaillant dans ces années-là sur l’occupation du sol sont mentionnés à travers la citation du “ congrès de Tours ”3 de 1986 concernant la prospection. Puis se succèdent les arrivées des concepts de paléo-écologie, d’archéologie agraire, de géo-archéologie, avec la patrimonalisation du paysage.

5Les objectifs de l’ouvrage sont définis dans cette partie introductive : il s’agit d’examiner comment les hommes ont aménagé leur territoire, à travers leurs équipements de plus en plus prégnants, occasionnant des modifications du milieu parfois profondes et irréversibles ; il s’agit à proprement parler de la construction du territoire, cet aperçu historiographique montrant qu’on passe de la notion de terroir à celle de paysage ; il s’agit en définitive d’une archéologie de l’aménagement, irréductiblement en lien avec l’archéologie de l’environnement…

6• Dans le chapitre traitant des cours d’eau, sont examinés les passages par gués, bacs ou ponts, puis la circulation fluviale, les ports fluviaux et les aménagements permettant de protéger l’habitat des caprices du fleuve. Les encadrés concernent les marais de la Douve à la période romaine ; un pont fortifié sur la Seine, à Pont-de-l’Arche, pour le Moyen Âge ; l’étang de Pézenas aux périodes à travers le temps ; le port rural gallo-romain de Blainville-sur-Orne ; l’histoire, enfin, de l’aménagement des cours d’eau.

  • 4 Ainsi que la thèse, sous sa direction, de Maxence Segard : M. Segard - Les Alpes occidentales romai (...)

7• Le chapitre traitant de la montagne – un des thèmes de recherche privilégié de Ph. Leveau4 – met en lumière les nouveaux outils de recherche pour ce type de milieu : paysage et pastoralisme ; mines, carrières et exploitation forestière ; la route désenclavant la montagne et créant la ville. Quant aux encadrés, ils présentent le peuplement médiéval du sud-est du massif Central ; les premiers aménagements des Alpes du Sud, depuis le Néolithique ; l’exploitation de la meulière dans le Jura, également depuis la Préhistoire ; le Briançonnais à travers la dendrochronologie ; le col de Petit Saint-Bernard à travers le temps.

8• Le littoral est examiné au 3e chapitre, en particulier dans ses aspects paléo-environnementaux, pour la Méditerranée, la Manche et l’Atlantique, et depuis la Préhistoire jusqu’à la période moderne, avec la lutte contre la mer et la dépoldérisation. Les encadrés traitent du vieux Port de Marseille depuis les Grecs ; de la lagune de Narbonne à la période romaine ; du port gaulois d’Urville, sur la Manche ; de Quentovic et de la Canche notamment au haut Moyen Âge.

9• La mise en perspective concernant l’aménagement de deux zones humides traite successivement de la Camargue et des marais de la Dives.

10• Quatre cartes commentées sont ensuite proposées, selon un choix qui n’est pas explicité : le développement économique et les aménagements dans l’Occident romain au Haut-Empire ; les trois autres pour la seule France : les Valois et la diffusion de l’architecture de la Renaissance ; l’œuvre de Vauban, places portuaires et frontalières du Grand Siècle ; trois mille ans d’aménagement des zones humides.

11• Compte tenu de mes propres centres d’intérêt, et aussi à titre d’exemple, je m’attarderai un peu plus longuement sur le chapitre concernant les campagnes. On oppose ici, de manière sans doute un peu simpliste, l’ager cultivé au saltus inculte, auxquels s’ajoute, dans la partie méridionale de la France, la silva, la forêt, progressivement touchée par les cycles de défrichement.

12- Le chapitre s’ouvre avec la présentation d’une “ archéologie des pratiques agricoles ”, concernant les recherches sur les parcellaires, parfois fossilisés lorsqu’il y a changement radical de mode d’exploitation du sol : en se gardant d’user du terme de “ géo-archéologie ”, le texte évoque à juste titre l’archéo-morphologie et l’apport des fouilles préventives de grande surface.

  • 5 Avec toutefois, dès lors, les premiers parcellaires organisés.
  • 6 Avec le bon exemple de la plaine de Limagne (par erreur ou coupure de phrase intempestive, placée d (...)

13- Puis le plan devient diachronique : sont d’abord examinés la Préhistoire et le début de la Protohistoire, à partir du VIe millénaire av. n. è., longue période au cours de laquelle, en plusieurs phases, on assiste à la conquête du territoire cultivé, d’abord, jusqu’à l’âge du Bronze5, sans trop d’atteinte à la domination de la forêt, puis, surtout à l’âge du Fer, à l’inversion de ce rapport spatial, avec l’apparition de parcellaires organisés en “ champs celtiques ”, qui sont alors de véritables aménagements agraires concertés, à grande échelle, concernant notamment des travaux hydrauliques6.

14- Puis il s’agit de la “ conquête de l’ager et la romanisation des territoires ”, ce terme de romanisation étant ici assez mal choisi compte tenu des développements suivants qui montrent bien que beaucoup dans cet aménagement du territoire à la période romaine remonte à la période laténienne. En Gaule méridionale, le phénomène le plus marquant est alors la centuriation, avec la révision assez radicale et bénéfique de la vision des années 1980, ces planifications agraires correspondant non pas à de nouvelles conquêtes de terres mais à des nécessités de recension fiscale, surtout. Ceci se passe avec l’intervention de la puissance publique mais aussi des propriétaires fonciers. La part de Rome dans l’aménagement du territoire est ici relativisée, car on constate de nombreuses régions où les prémices gauloises sont déjà largement en place. Dès la période gauloise, le réseau de fermes est très dense, au moins dans certaines régions, et ne fait que s’intensifier avec la Conquête romaine (villae aussi), à l’intérieur de trames parcellaires étendues, qui se perpétueront souvent jusqu’à nos jours (résilience).

15- Puis est traitée la “ croissance et la conquête agricoles au Moyen Âge ”. Après une déprise marquée aux ve-vie siècles, on assisterait à une nouvelle croissance agricole s’appuyant sur de nouveaux et vastes défrichements : cette vision paraît quelque peu traditionnelle dans ce cas. Et quelles en sont les preuves archéologiques à grande échelle ? Des villages planifiés, bastides et “ villes neuves ” se mettent en place, avec aussi l’openfield à partir du xiie s.

16- Enfin est abordée “ l’exploitation des zones humides au Moyen Âge et à l’époque moderne ”, ceci dès le “ 1er Moyen Âge ” (traduire : haut Moyen Âge). Il s’agit surtout de la multiplication des étangs, sous l’impulsion monastique, pour notamment la pisciculture. S’y ajoute, souvent, un phénomène d’enclosure (paysage de bocage) et la mise en place, par exemple, de réserves de chasse.

17S’intercalent ici plusieurs encadrés, concernant la forêt et les premiers défrichements dans le nord-ouest de la France (exemple quand même discutable de défrichement d’un bosquet à l’âge du Bronze, à Durcet dans l’Orne) ; l’émergence de la planimétrie agraire au début du iie millénaire av. n. è. (exemple de secteurs de Normandie) ; “ vers une modélisation du peuplement de la plaine de Troyes à l’âge du Fer ” ; l’identification des réseaux parcellaires à travers les opérations de diagnostic (exemple de la Manche) ; l’étude d’une remise de chasse d’époque moderne en plaine de France.

18• L’hydraulique est ensuite l’objet du chapitre suivant, et c’est là aussi l’un des thèmes de recherche depuis longtemps privilégiés de Ph. Leveau. Sont traités l’archéologie de l’alimentation en eau des habitats, l’hydraulique pour l’agriculture, l’irrigation et le drainage, les canaux de navigation et enfin les moulins à eau (surtout pour les périodes médiévales et modernes). Des encadrés portant sur l’aqueduc gallo-romain d’Orléans, de qanâts ( ?) gallo-romains en Lorraine, des puits du haut Moyen Âge de Sermersheim (Bas-Rhin), comme il se doit, de la part de Ph. Leveau, de l’aqueduc romain d’Arles et des moulins de Barbegal, et enfin des moulins médiévaux de Thervay (Jura).

19• C’est donc enfin à la ville qu’est consacré le dernier chapitre : la ville, lieu politique, économique et social ; la ville protohistorique et ses origines néolithiques ; les agglomérations de l’âge du Fer ; la ville gallo-romaine ; celle médiévale et moderne ; et les villes en réseaux. C’est, avec les campagne (supra), le seul thème à être vraiment traité de manière diachronique, période par période, montrant dans ce cas qu’une vision continue, sur la longue durée, de phénomènes urbains liés à l’aménagement du territoire est sans doute pour les auteurs un peu plus difficile à aborder ici. Les encadrés traitent de Besançon-Vesontio, de l’oppidum à la cité ; de Strasbourg, du camp légionnaire à la ville actuelle ; de l’espace urbain et de la Loire à Tours ; du devenir des monuments du ve siècle à Toulouse ; des tanneries médiévales de Troyes.

20Un brève conclusion de trois pages clôt l’ouvrage : elle resitue l’aménagement du territoire dans l’évolution récente de la discipline archéologique, privilégiant la diachronie et la pluridisciplinarité. C’est en effet surtout l’archéologie qui a ainsi fait de la “ lecture du paysage dans le temps des sociétés ” son projet spécifique. On n’évite pas ici le couplet sur l’apport décisif de l’archéologie préventive, discours un peu officiel qu’il faudrait quand même relativiser, au moins dans certains domaines, notamment faute de véritables publications. Cette conclusion se clôt sur une interrogation quant à la conservation de ces données et l’étude de ces thématiques face, précisément et paradoxalement, aux aménagements actuels.

21Enfin, une bibliographie d’orientation, succincte et parfois un peu injuste, est donnée, en trois pages, par chapitre, puis un utile index des noms propres (noms de lieux et de personnes), et les remerciements, avec la liste des auteurs des encadrés (signés quant à eux de leurs initiales, supra).

  • 7 Collection qui a cependant fourni d’autres titres de qualité : je pense par exemple à celui concern (...)

22Il s’agit donc, en définitive, et comme on pouvait s’y attendre avec ces auteurs, d’un des bons volumes de cette collection très inégale “ Archéologie de la France ”, lancée par l’Inrap et éditée par La Découverte7. Certes – et compte tenu de ses auteurs – l’ouvrage traite de manière privilégiée des périodes historiques, incluant la Protohistoire récente, peut-être un peu au détriment des périodes protohistoriques plus anciennes et sans doute notamment du Néolithique, à l’origine des premiers aménagements du territoire. Mais les spécialistes de ces périodes anciennes devraient tout de même y trouver leur comptant… C’était en effet un peu une gageure, très honorablement remplie, que de vouloir tracer en seulement quelques 170 pages une aussi vaste et ambitieuse fresque sur le vaste sujet de l’histoire de l’aménagement du territoire des origines à nos jours.

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Notes

1 Qui, comme pour ces différents autres colloques, n’a alors fait que récupérer un sujet qui devenait alors à la mode ; voir : Archéologie du Paysage, Actes du Colloque (ENS, Paris, mai 1977), Caesarodunum, 13, Tours, 2 vol. , 618 p.

2 Avec, dès lors, Gérard Chouquer, Monique Clavel, François Favory, entre autres…

3 Petite erreur – confusion avec le Congrès d’archéologie urbaine de Tours en 1980 ? – car ce colloque a eu lieu à l’École Polytechnique à Paris, et en 1982 : A. Ferdière et É. Zadora-Rio (dir.) - La Prospection archéologique. Paysage et peuplement, Actes de la table ronde des 14-15 mai 1982, Paris, Documents d’Archéologie Française, no 3, MSH, Paris, 178 p.

4 Ainsi que la thèse, sous sa direction, de Maxence Segard : M. Segard - Les Alpes occidentales romaines, Développement urbain et exploitation des ressources des régions de montagne (Gaule Narbonnaise, Italie, provinces alpines), Biblioth. d’Arch. Méditerr. et Africaine - 1, Errance-Actes Sud/Centre Camille Jullian, Aix-en-Provence/Paris, 2009, 285 p.

5 Avec toutefois, dès lors, les premiers parcellaires organisés.

6 Avec le bon exemple de la plaine de Limagne (par erreur ou coupure de phrase intempestive, placée dans la vallée du Rhône et associée au tracé du TGV Méditerranée !).

7 Collection qui a cependant fourni d’autres titres de qualité : je pense par exemple à celui concernant la Gaule romaine.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Alain Ferdière, « Vincent Carpentier et Philippe Leveau - Archéologie du territoire en France. 8 000 ans d’aménagements », Revue archéologique du Centre de la France [En ligne], Tome 52 | 2013, mis en ligne le 31 décembre 2013, consulté le 19 mai 2014. URL : http://racf.revues.org/2021

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Auteur

Alain Ferdière

Professeur émérite d’archéologie, UMR 7324 CITERES Laboratoire Archéologie et Territoires

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