Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Louis Pergaud : aimer sans censure
LE MONDE DES LIVRES | 12.06.2014 à 10h36 • Mis à jour le 12.06.2014 à 13h27 | Par Xavier Houssin
Une illustration de Rita Mercedes. | RITA MERCEDES
Il y a toujours comme un rien d’effraction à la lecture d’une correspondance. Quoi de plus intime en effet ? Le temps a beau avoir passé, les nouvelles, les confidences, les mots d’amour restent intacts. Etrangement préservés. Les lettres que Louis Pergaud, l’auteur de La Guerre des boutons, a adressées à Delphine Duboz, entre 1907, date du début de leur vie commune, jusqu’à sa mort sur le champ de bataille au printemps 1915, et qui viennent de paraître au Mercure de France, se découvrent avec une profonde émotion.
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Pergaud, quand il rencontre Delphine, la fille du cordonnier de Landresse où il a été nommé instituteur en 1905, est pour le moins perdu. Il n’est plus si certain de pouvoir tenir fermement son rôle de « hussard de la République » dans cette petite commune très conservatrice du Doubs où il ne veut pas mettre son drapeau laïque dans la poche. Depuis la mort de leur fille, à 3 mois, son ménage avec Marthe, une collègue institutrice épousée trop tôt, bat de l’aile. Ils ne se comprennent plus. Lui écrit des poèmes (il publie un premier recueil, L’Aube, en 1904). Elle rêve de vie bien réglée. Avec Delphine, il entrevoit une autre existence. Toute neuve. Et littéraire. Son ami d’enfance, Eugène Chatot, lui a présenté le poète Léon Deubel. Ce dernier, devenu son mentor, le convainc de monter à la capitale tenter sa chance.
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A Paris, le jeune homme vit seul quelques mois. Delphine vient le rejoindre. Les jours sont difficiles. Mais avec l’aide de cette femme qui croit en lui, il s’accroche à l’écriture. En 1910, son divorce avec Marthe est prononcé. Il épouse enfin celle qui lui a permis d’être lui-même : un écrivain. Très vite, le succès vient. Ses nouvelles, De Goupil à Margot (Mercure de France, 1909), obtiennent le prix Goncourt en 1910. Suivront La Revanche du Corbeau (Mercure de France, 1911), La célèbre Guerre des boutons (Mercure de France, 1913) et Le Roman de Miraut (Mercure de France, 1913). Arrive l’été 1914. Louis Pergaud part pour le front.
Dans le manque et l’absence
Ses premières Lettres à Delphine datent de 1907, juste avant la période où ils emménagent ensemble à Paris. Il s’en trouve d’autres encore, de 1909, au moment où il effectue une période militaire d’un mois. Sinon, ils ne s’écrivent pas. « C’est qu’ils ne se quittaient jamais », explique Françoise Maury, de l’Association des amis de Louis Pergaud, qui a revu l’ensemble de la correspondance. Mais en huit mois, d’août 1914 à avril 1915, il lui enverra plus d’une lettre par jour. Incroyables témoignages d’amour écrits dans le manque et dans l’absence.
Des tranchées, Pergaud attache une grande importance à cette correspondance. « Je suis bien content, écrit-il à Delphine, que tu aies reçu les paquets de tes lettres ; (…) pour les conserver je te les renverrai en même temps que mes propres lettres, et tu me les classeras avec tous les papiers relatifs à la guerre et que tu me gardes déjà. » Pense-t-il à une parution future ?
L’écrivain disparu, vient, en 1938, une première esquisse de publication. Un volume appelé Mélanges (Mercure de France), qui contient aussi des nouvelles et des textes plus ou moins inédits, dirigé par l’ami Eugène Chatot. Mais ce dernier prévient : « Nous avons supprimé tous les passages relatifs à la famille, aux amis et aux confrères du romancier. (…) A la demande de sa veuve, mue par un sentiment qu’on comprendra aisément, nous avons également écarté toutes les “formules de politesse”, mais aussi tout ce qui dans ces lettres (…) est trop personnel, trop intime ou trop affectueux. » En 1955, le même Eugène Chatot (qui, veuf entre-temps, a épousé Delphine) édite une première vraie Correspondance (Mercure de France), reprenant les lettres déjà publiées et y ajoutant d’autres, éparses, à différents destinataires. A nouveau, Chatot avoue « éliminer nombre de textes et faire de fréquentes coupures dans ce qui reste ».
La correspondance telle qu’elle existe aujourd’hui rétablit ce qui a été supprimé, s’enrichit de lettres retrouvées depuis et ajoute les courriers de Pergaud à ses amis et relations littéraires pendant la période. Manquent celles de Delphine. Détruites par pudeur. Mais l’ensemble est bouleversant. Pas tant à cause de l’environnement tragique de la guerre. De ce que le combattant livre ou cache plus ou moins adroitement de l’âpreté de sa vie. De ce qu’il exprime sa foi en la France, parle de ses souffrances, s’accroche à de superstitieux espoirs. Non, l’essentiel réside dans l’expression, au quotidien, d’une histoire d’amour intense, sensuelle, magnifique. On découvre la place essentielle qu’occupe une jeune femme dans la réussite littéraire de l’homme qu’elle s’est librement choisi.
C’est ce que l’éditeur n’a pas forcément compris ici, pressé qu’il était de ne pas faire rater à ce volume l’effervescence du centenaire de 1914. A croire qu’on ne pouvait pas attendre celui de la mort de l’écrivain, en 2015, pour livrer cette correspondance et, par exemple, pour l’étendre à ses premières années. Pire : le soldat en bleu horizon qui figure sur la couverture n’est pas Louis Pergaud, mais un anonyme de carte postale d’époque. Il faudra qu’on nous explique. Pour autant, Pergaud ne se retournera pas dans sa tombe. Il n’en a pas. Dans la nuit du 7 au 8 avril 1915, il est tombé lors d’une attaque à Marchéville dans la Meuse. Son corps n’a jamais été retrouvé. Restent ses livres. Et ses lettres.
Lettres à Delphine. Correspondance 1907-1915, de Louis Pergaud, Mercure de France, « Le Temps retrouvé », 544 p., 22 €.