Peint à Palma de Majorque dans son grand atelier face à la mer, cette toile, rare par son ampleur, permet enfin à Miró de déployer avec une force exceptionnelle la vision cosmique qui est la sienne, et de se livrer corps et âme à l’énergie gestuelle qu’avait encore libérée l’exemple américain, lors d’un long et dernier séjour en 1968. Un mouvement large balaie l’espace entier, apportant avec lui une succession de taches, de maculatures, d’éclaboussures lancées sur la toile. De même, les grands signes du répertoire poétique de Miró trouvent un développement d’une vigueur brutale : celui, souver...

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Peint à Palma de Majorque dans son grand atelier face à la mer, cette toile, rare par son ampleur, permet enfin à Miró de déployer avec une force exceptionnelle la vision cosmique qui est la sienne, et de se livrer corps et âme à l’énergie gestuelle qu’avait encore libérée l’exemple américain, lors d’un long et dernier séjour en 1968. Un mouvement large balaie l’espace entier, apportant avec lui une succession de taches, de maculatures, d’éclaboussures lancées sur la toile. De même, les grands signes du répertoire poétique de Miró trouvent un développement d’une vigueur brutale : celui, souverain, de l’oiseau y règne en maître, qui déploie son vol en un arc puissant, imposant son profil aigu à l’envahissement inquiétant de la nuit, jugulant la « montée » du noir dans l’espace pictural. C’est le noir d’une nuit de terreur, agitée par les apparitions échevelées de monstres cyclopes aux mains crochues, formes mères au pouvoir ancestral castrateur. C’est aussi le noir « premier » du feu, de la cendre encore ici allumée d’éclats incandescents, qui débordent leurs laves colorées, dispersent leurs braises rougeoyantes. Au-delà de la véhémence de son geste, qui demande l’engagement du corps entier (trempant la main dans la couleur, il brosse sa toile posée à terre, qu’il traversera de son pas comme si c’était une « terre labourée »), Miró reste dans l’attente de la secrète alchimie picturale que lui permet l’utilisation de l’huile, lente, patiente, à laquelle il reste fidèle. Jusqu’à la fin, et cette toile magistrale en témoigne, peindre sera pour lui un actepur, qui engage l’artiste et le poète sans que soient ménagés un respect et un effet quelconques : l’élan vital, rageur, reste intact, qui le pousse à affronter toujours plus loin la matière, et à mettre à l’épreuve ses signes. Ce corps à corps, qui est la condition de son travail, est le moyen, pour Miró, de s’abîmer dans l’espace universel dont il participe.