Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
2014, c'est leur année (2/4) : Mathieu Pernot
Photographie | Des enfants tsiganes aux réfugiés afghans, Mathieu Pernot photographie inlassablement les invisibles. Son inventivité formelle lui vaut d'être exposé au prestigieux Jeu de Paume à Paris.
Photo : Jérôme Bonnet pour "Télérama".
Un jour de 1996, contre l'avis de son entourage, Mathieu Pernot, se jette à l'eau. Il veut réaliser un travail sur les Tsiganes d'Arles, une communauté réputée fermée. C'est un jeune homme de 26 ans, lui-même très à part, alors étudiant à l'école de photographie de la ville. Il ne correspond pas au profil de l'institution. Diplômé d'un IUT de génie civil, il a surtout exercé le judo à un haut niveau. Sportif, musclé – « j'avais un cou de taureau » –, il n'a pas le niveau de connaissances en histoire de l'art des autres postulants au concours d'entrée. « Ne regardez pas ce que je suis mais ce que je vais devenir », avait-il plaidé auprès du jury d'admission. Vingt ans plus tard, les faits sont là : son inventivité formelle, l'originalité de ses recherches lui valent d'être exposé dans une prestigieuse institution publique, le Jeu de paume – ce qui est rarissime pour un photographe français – et simultanément à la Maison rouge, la fondation d'Antoine de Galbert, à Paris également.
Tout part donc de ce jour de 1996 où il prend son courage à deux mains. Que veut-il faire exactement avec les Tsiganes ? Il n'en sait rien. Le seul défi d'être accepté par eux le motive. Pernot est un combattant qui adore remettre en cause son confort et ses certitudes. Il convainc la famille Gorgan de se laisser photographier régulièrement. Avant de découvrir que le grand-père, Bietschika, a été interné durant la Seconde Guerre mondiale dans le camp de concentration de Saliers, en Camargue. Créé pour les « bohémiens » par le régime de Vichy en 1942, ce dernier a depuis été rasé.
Sidéré de voir qu'aucun historien n'a travaillé sur le sujet, Mathieu Pernot se rend aux archives départementales, découvre les fiches anthropométriques des internés et parvient à retrouver quelques survivants dans toute la France. Ce travail fait l'objet de sa première exposition en 1997 – elle se tient aux Rencontres d'Arles –, où il mélange des bandes-son d'interviews, des images d'archives, et des photos à lui, parfois bouleversantes. Comme les portraits d'enfants tsiganes réalisés dans un Photomaton, ou celui d'Ana Gorgan, mater dolorosa couvant de ses mains épaisses son nouveau-né.
Récits à plusieurs voix
Les fondations sont posées. Dans Les Migrants, son projet sur des Afghans dormant enroulés dans des couvertures dans un square de Paris (2009), évoquant des gisants, ou encore dans son livre sur l'hôpital psychiatrique de Picauville, dans la Manche (2010-2013), Mathieu Pernot mélange des documents plus ou moins récents à ses propres clichés. A chaque fois, il dresse un récit à plusieurs voix sur la folie, l'enfermement, les basculements d'époque. Dans son travail sur les grands ensembles (2001-2008), il mixe ses prises de vues spectaculaires d'implosions d'immeubles de banlieue à des cartes postales des années 1960, date de leur construction. Celles-ci rappellent le bonheur qu'il y avait à vivre dans ces cités désormais mal considérées.
L'approche de Mathieu Pernot est politique, historienne, citoyenne dans le sens où il met en lumière ce qui dérange ou l'aborde d'une façon inattendue. Sans se mettre en avant. Jamais il n'a cessé de photographier les Gorgan. Dans sa série Les Hurleurs (2001-2004), le petit-fils Jonathan, devenu adolescent, crie au pied de la prison d'Avignon, les mains en porte-voix, un message à l'un des siens incarcéré. L'exposition au Jeu de paume se conclut par l'image d'une caravane en feu (2013). Chez les Tsiganes, on brûle le véhicule des défunts. Sans Mathieu Pernot, la mémoire de ces réprouvés et malgré tout « invisibles » – bohémiens, prisonniers, fous, clandestins... – partirait en fumée.
A voir
La traversée, du 11 février au 18 mai au Jeu de paume, Paris 8e. Tél. : 01 47 03 12 50. Catalogue aux éditions Le Point du jour, 184 p., 35 €
L'asile des photographies, du 14 février au 11 mai à la Maison rouge, Paris 12e. Tél. : 01 40 01 08 81. Avec un livre couronné par le prix Nadar 2013, aux éditions Le Point du jour, en collaboration avec Philippe Artières, 288 p., 38 €
http://www.telerama.fr/scenes/2014-c-est-leur-annee-2-4-mathieu-pernot,106945.php