Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Comment travaillait-on avec Truffaut ?
Cinéma | Rencontre avec Jean Gruault, le mythique scénariste de François Truffaut. Celui de “Jules et Jim” ou de “L'Enfant sauvage”.
Un pavillon légèrement décati, au milieu d'une impasse, derrière le parc des Buttes-Chaumont, à Paris. Le jardin, laissé à l'abandon, donne à la maison des airs de squat. On sonne. La fenêtre de l'étage s'ouvre et Jean Gruault apparaît, la gueule enfarinée : « Je faisais la sieste. Installez-vous, c'est ouvert. » Quelques minutes plus tard, on voit le propriétaire des lieux descendre l'escalier, assis dans un fauteuil mécanique : « Ça ne vous rappelle rien ? Je suis comme Charles Laughton dans Témoin à charge. » A 90 ans, le mythique scénariste de Truffaut dans les années 60 et 70 (Jules et Jim, L'Enfant sauvage, L'Histoire d'Adèle H, Les Deux Anglaises, La Chambre verte) puis de Resnais dans les années 80 (Mon oncle d'Amérique, La Vie est un roman, L'Amour à mort) a non seulement le même fauteuil que Laughton mais aussi son embonpoint. Nous entrons dans le bureau, aux murs couverts de livres. Il m'indique le fauteuil vert « celui où Resnais avait l'habitude de s'assoir » et, devant sa table de travail, commence à égrainer les souvenirs de sa longue collaboration avec « François ».
Comment Truffaut choisissait-il de travailler avec vous plutôt qu'avec ses autres scénaristes habituels (Suzanne Schiffman, Claude de Givray, Jean-Louis Richard) ?
Il avait une intuition assez fine. Et généralement, il ne se trompait pas. Il estimait que tel sujet, tel roman, pouvait intéresser Suzanne ou Claude ou bien moi et nous les proposait avec une règle immuable : on ne devait jamais parler aux autres scénaristes des films sur lesquels on travaillait. Le secret était une condition non négociable. Ce qui ne nous empêchait pas de nous voir et de nous apprécier. Suzanne Schiffman était une amie très proche, mais nous ne parlions jamais de nos projets en cours avec Truffaut.
Avez-vous des regrets sur ces choix ?
Un jour, j'ai demandé à François : « Comment se fait-il que ce soit Claude de Givray qui ait collaboré à la série des Doinel et pas moi ? » Il m'a répondu que j'étais trop proche de la situation, qu'il avait choisi un autre scénariste pour se dégager du côté autobiographique, pour mieux projeter l'histoire dans des personnages imaginaires. Avec François, on était amoureux d'une fille prénommé Lillian, qui est devenue le prototype des héroïnes de la série des Doinel. Son comportement fuyant a largement inspiré le personnage de Colette dans Antoine et Colette puis celui de Claude Jade dans Baisers volés. On était peut-être amoureux d'elle parce qu'elle s'appelait Lilian et que notre idole à l'époque était la grande star du muet Lillian Gish, qu'on avait découvert à la Cinémathèque dans Le Lys brisé et Naissance d'une nation.
On a souvent dit que les héros truffaldiens étaient ses doubles. Êtes-vous d'accord ?
Les héros des films de Truffaut sont davantage des doubles de ses scénaristes que de lui-même. Tout le monde pense que le personnage de Charles Denner dans L'Homme qui aimait les femmes était inspiré de la vie de Truffaut alors qu'il ressemble surtout à son scénariste, Michel Fermaud, qui était un véritable chaud lapin, et qui s'est lui-même inspiré du journal intime d'Henri-Pierre Roché, l'auteur de Jules et Jim et des Deux Anglaises.
Truffaut avait-il une méthode de travail ?
A chaque film sa méthode. S'il s'agissait d'adapter une œuvre littéraire, François m'apportait le bouquin dans lequel il avait souligné les passages qu'il voulait voir filmer. A moi de les organiser pour que ce soit cohérent. Il me disait à chaque fois : « Prends ton temps. Je ne suis pas pressé. » Il était son propre producteur et menait toujours plusieurs projets de front, sans s'inquiéter des délais. Le projet d'Adèle H a mis sept ans avant d'aboutir. Pour La Chambre verte, il m'avait remis des extraits de trois nouvelles d'Henry James qu'il fallait compiler. Pour Jules et Jim et Les Deux Anglaises, nous avons repris in extenso des dialogues de Roché que je découpais directement dans l'édition Gallimard et collais sur les pages du scénario. Pour L'Enfant sauvage, il a fallu que je transforme tous les rapports de Jean Itard sur la rééducation de l'enfant en un scénario. Généralement, il me laissait travailler seul pendant le temps nécessaire et une fois le scénario livré, il procédait à des coupes importantes pour ajouter du rythme ou alors il tuait un ou plusieurs personnages (par exemple la mère et l'une des deux sœurs dans Les Deux Anglaises) pour ajouter de la dramaturgie. Et il tournait dans la foulée.
Truffaut exigeait-il votre présence sur les tournages ?
Je déteste les tournages. Et Truffaut se considérait totalement libre sur le plateau. S'il voulait modifier un dialogue, il le faisait lui-même, sans me consulter. A la différence de Resnais, qui ne supportait pas le scénariste sur le tournage mais qui m'appelait systématiquement quand il avait besoin de changer une réplique. Pour m'obliger à venir sur les tournages, Truffaut n'avait qu'une solution : me donner un rôle, comme dans L'Enfant sauvage.
Truffaut avait-il l'habitude de confier un projet à plusieurs scénaristes à la suite ?
Ce n'était pas son genre mais c'est arrivé pour Farhenheit 451. J'avais fait un premier jet dont il n'a gardé qu'un gag et une réplique, puis le texte a été travaillé par des scénaristes britanniques avant que Truffaut ne reprenne la matière avec Jean-Louis Richard. Mais je continue à toucher des droits sur le scénario même si je ne suis pas crédité au générique.
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