Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Dans quels personnages Truffaut s’est-il incarné ?
Cinéma | De nombreux personnages imaginés par Truffaut reflètent des aspects de sa personnalité. Bien sûr, il y a le réalisateur fervent qu'il interprète lui-même dans “La Nuit américaine”. D'autres sont aussi révélateurs…
L’éternel enfant : Jean-Pierre Léaud dans Les Quatre Cents Coups (1959)
Antoine Doinel : personnage imaginaire fait de projections et d'influences réciproques, synthèse de François Truffaut et de Jean-Pierre Léaud. Grâce à cet alter ego à la fois touchant et truculent, le cinéaste a pu raconter son enfance meurtrie en tempérant sa cruauté, par pudeur. Par fascination, aussi, pour son jeune interprète, doté de l'aplomb gouailleur et frondeur que lui-même, plus « sournois », avouait-il, aurait voulu posséder. Négligé par sa mère et son beau-père, de père longtemps inconnu, Truffaut n'a jamais oublié l'enfant à vif et difficile qu'il fut. Une fois cinéaste et père (de trois filles), il n'a cessé de le porter en lui, tout en l'enrichissant de fantaisie et de facétie tendre. Manière de rattraper la part de jeu et d'innocence dont il avait été naguère privé.
L'enfance maltraitée, qu'il faut protéger et instruire, a été, pour lui, un véritable motif d'engagement. A travers diverses associations et interventions dans les médias. A travers deux autres films, aussi : L'Enfant sauvage (1969), où il incarne lui-même le Dr Jean Itard, qui recueille et instruit un enfant trouvé. Et L'Argent de poche (1976), chronique sur une vocation de pédagogue. Steven Spielberg, qui l'a choisi pour jouer un savant français spécialiste des ovnis dans Rencontres du troisième type, a dit : « J'avais besoin d'un homme qui aurait l'âme d'un enfant, quelqu'un de bienveillant, de chaleureux, qui pourrait totalement admettre l'extraordinaire, l'irrationnel. »
L’aventurière : Catherine Deneuve dans La Sirène du Mississippi (1969)
Non, Truffaut ne ressemble pas à Catherine Deneuve dans La Sirène du Mississippi. Mais qu'est-ce qu'il le regrette ! Etre, comme elle, une aventurière sans scrupules, quel rêve, pour lui… C'est qu'il n'a jamais été sage : avec son enfance à la dure, c'eût, d'ailleurs, été étonnant. Gamin, avec son pote Robert Lachenay, il démonte, à l'aide d'un tournevis, les devantures des cinémas pour piquer des photos de films, qu'il revend « à bon prix », comme il dit. Devenu critique, insolent et influent, il fait ami-ami avec le scénariste Pierre Bost, lui emprunte des scénarios inédits dont il se sert pour l'enfoncer dans un de ses articles. « J'espère ne pas avoir fait de ces documents un trop mauvais usage », ose-t-il écrire, sadique ou inconscient, à celui qu'il a démoli, ratiboisé, désintégré… Son côté forban et fier de l'être le pousse, sans vergogne, à se laisser financer par son beau-père, à prôner, contre toute attente, « la nécessité d'une censure moraliste » ( !) et à fréquenter, un temps, Lucien Rebatet, l'ex-critique du journal collabo Je suis partout…
Toute sa vie, en fait, sous le vernis de la bienséance, Truffaut gardera vivant, bien au chaud, l'effronté qu'il était. Fanny Ardant évoque, sur le plateau de La Femme d'à côté, les fous rires blagueurs, canailles, qui unissaient Truffaut à Gérard Depardieu. Lequel n'était pas chaud, au départ, pour tourner avec lui. Il change d'avis dès leur première rencontre : « J'avais tellement peur, dira l'acteur en évoquant leur mutuel coup de foudre, qu'il ne soit pas un voyou »…
Le séducteur : Charles Denner dans L’Homme qui aimait les femmes (1977)
« La vie privée est boiteuse pour tout le monde », dit François Truffaut dans La Nuit américaine. Quatre ans plus tard, dans L'Homme qui aimait les femmes, Bertrand Morane tape sur sa machine à écrire : « Les jambes de femmes sont des compas qui arpentent en tous sens le globe terrestre, lui donnant son équilibre et son harmonie. » Les femmes existent donc pour que la vie boite moins. A l'image du cinéaste qui a besoin de rester ami avec celles qu'il quitte ou le quittent, son héros n'est pas un dragueur, ni même un don Juan, mais un angoissé auquel la compagnie des femmes est « indispensable », au point de les collectionner, de les vouloir toutes, « grandes tiges » ou « petites pommes », comme un rempart, en bas nylon et jupes légères, contre la dépression. Une façon d'oublier, aussi, l'affection refusée par la première, l'unique : la mère.
« Sa gravité me plaisait. Je ne voulais pas que mon coureur de femmes soit avantageux, je le voyais plutôt anxieux, très éloigné du stéréotype du tombeur content de lui et agaçant », dira Truffaut à propos de Charles Denner, son deuxième double après Jean-Pierre Léaud, séduisant à sa manière, et si mélancolique. Quel métier lui donne-t-il dans son film ? Ingénieur en mécanique des fluides testant les turbulences atmosphériques. Serait-il question des rapports amoureux ? Réponse de Morane-Denner : « La vérité, je vais vous la dire. Les femmes veulent la même chose que moi : l'amour. Tout le monde veut l'amour. »
L’homme-cinéma : François Truffaut dans La Nuit américaine (1973)
Aux studios de la Victorine, à Nice, au milieu d'une équipe de cinéma agitée par les affaires de cœur, les lubies, les angoisses, le réalisateur reste discret, ne se manifestant que par sa douceur, sa bonne volonté et son optimisme. De ce personnage qu'il interprète lui-même, Truffaut fait un homme presque banal, presque fragile (il porte un Sonotone), le contraire d'un génie écrasant. Lui qui disait envier les cinéastes au fort tempérament n'essaie pas de se faire passer pour l'un d'eux. Il se fond dans la masse : La Nuit américaine est l'histoire d'une troupe et montre le cinéma comme une aventure humaine, pas seulement artistique.
Mais dans cet autoportrait Truffaut ne minimise pas sa passion. A travers cet alter ego, il salue le moment où, sur un tournage, les petites histoires de chacun s'effacent pour que « le cinéma règne ». L'expression est forte, empreinte de sacré. Faire rayonner le septième art, tel est l'objectif de Truffaut. Dans La Nuit américaine, il expose son métier en pédagogue, soucieux d'en favoriser l'accès. Comme lorsqu'il rencontrait Hitchcock pour lui faire dire, dans leur fameux livre d'entretiens, les secrets de la mise en scène. Sa passion, Truffaut l'a vécue comme une mission. Une idée plus forte que l'ambition personnelle, plus belle que le rêve de réaliser des chefs-d'œuvre, ne le quittait pas : faire des films, c'est faire aimer le cinéma.
Toutes les citations sont extraites de François Truffaut, d'Antoine de Baecque et Serge Toubiana (éd. Gallimard).
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Comment François est-il devenu Truffaut ? Télérama.fr