Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Lord Byron (1788-1824)
Cet événement majeur est l’arrivée, en 1816, de Lord Byron, le poète anglais. Depuis toujours amoureux de Venise, il chantera la ville-fée, comme il la nomme et l’immortalise dans le quatrième chant de son poème le Pèlerinage de Childe Harold. Il y dévoile son amour passionné pour la ville meurtrie et moribonde, pleine de la magie des beautés en péril, encore plus envoûtantes d’être menacées. Cet aristocrate sulfureux, mis au ban de sa propre famille, rejeté pour conduite scandaleuse, choisit comme lieu d’exil et de délices la ville de Venise. Il s’installe dans la ville en 1816. Sa saga vénitienne durera 3 ans jusqu’en 1819. Il défraye bien vite la chronique de la ville, célèbre par ses frasques notamment amoureuses. Sa claudication congénitale le pousse aux exploits sportifs. Il fait d’inlassables chevauchées tout au long du Lido. Nageur excellent et téméraire, il traverse le grand canal à la nage, s’essaie à des compétitions, séduit toutes les femmes de Venise, tout âge et classes sociales confondues, sans compter les courtisanes, les donne pericolanti, comme on dit en italien de façon si expressive. Ces courtisanes qui ont fait la réputation de la ville depuis des siècles. |
Quand Chateaubriand vient à Venise cette année-là, le culte de Byron est à son comble et l’on ne parle que de lui. Jaloux, l’enchanteur évoque avec aigreur, dans son Livre sur Venise, le Don Juan vénitien Lord Byron. Il le juge, lui attribue des bons et mauvais points, soulignant ses défauts, sa vie de débauché. On ne peut s’empêcher de sourire quand on considère la vie amoureuse du vicomte breton catholique, chantre du trône et de l’autel. Le Génie du Christianisme, Atala vantent la sainteté du mariage et la fidélité qui va de soi quand on est bon chrétien. Or René est marié et adultère comme Lord Byron, mais il déteste le scandale et sait admirablement accorder sa lyre de poète à son violon de séducteur. Il sait naviguer en eaux troubles, ménager les susceptibilités de femmes, celle de Céleste son épouse, celle de Juliette son égérie, celle de sa maîtresse du moment ; il n’écrit que ce qui lui sert à sculpter sa statue pour la postérité. Les Mémoires d'outre tombe en sont la preuve. Le noble vicomte était ainsi. Il s’accordait peut-être tout ce qu’il reprochait à Byron, mais il ne s’en vantait pas, bien trop soucieux de bienséance. Or Lord Byron se moque du qu’en-dira-t-on et assume sa propre nature, comme le fera plus tard Oscar Wilde, autre objet de scandale dans l’Angleterre victorienne.
Cette digression éclaire les raisons du ressentiment que montre Chateaubriand envers Byron. Dès 1822, les œuvres complètes de Byron ont paru en français. Deux ans plus tard, le 19 avril 1824, il mourait sur la terre de Grèce, jadis conquise par la Sérénissime. Mort héroïque qui en fait définitivement un être d’exception. Il meurt à Missolonghi, au milieu des insurgés grecs combattant pour l’indépendance. Sa gloire désormais établie, il devient le héros romantique par excellence, le poète pélerin Childe Harold. Chateaubriand veut lui aussi imprimer sa marque à Venise, écrire un ouvrage immortel. Ce sera le Livre sur Venise. | ||
Plaque précisant que Lord Byron
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"Présentation 2e séjour" |
1833, 2ème séjour à Venise — Lord Byron (1/2)
Venise Byron habita le palais Mocenigo, qu’il acheta et où il vécut jusqu’en 1819, date à laquelle il quitte la ville pour suivre à Ravenne la comtesse Teresa Guiccioli. Ces trois années nourrirent sa vision poétique de Venise, vision sensible, si bien traduite dans son poème qu’elle frappa l’imagination des artistes, de sorte qu’après lui, écrivains, peintres, poètes se pressèrent dans la ville, lui donnant une renommée internationale. Byron, la célèbre et la chante : “Venise cité fée de mon cœur, la planteuse du lion, l’île la plus verdoyante de mon imagination, dressant sa tiare d’orgueilleuses tours”. Ses poèmes sont sur les lèvres du tout Venise.
Un pareil renom ne pouvait que blesser René. Il connaît et admire cet étrange poète, qui a grandi sur la terre écossaise, comme lui prince des landes et des genêts. Mais la haute conscience que le vicomte a de lui même, comme créateur d’un nouveau style et d’une sensibilité neuve fait qu’il ne souffre aucune concurrence. Il ne veut pas de rival. Or Byron en est un. De plus, le lord anglais ne reconnut jamais sa dette littéraire envers Chateaubriand, de vingt ans son aîné. Peu doué pour l’exercice d’admiration, l’orgueilleux Byron ne se reconnaît aucun maître. À peine deux mentions dans son œuvre abondante disent le peu d’intérêt qu’il porte à l’auteur du Génie du christianisme. Chateaubriand se plaint : “j’étais donc un de ses pères qu’on renie quand on est arrivé au pouvoir ? Lord Byron peut-il m’avoir complètement ignoré, lui qui cite presque tous les auteurs français, ses contemporains ?” (Essai sur la littérature anglaise de Chateaubriand) À sa manière, René se vengera en écrivant Le Livre sur Venise. Bien sûr, il ne manque pas de louer le talent du poète anglais, le barde immortel, mais ce sont des louanges enveloppées de fiel. Il aime souligner que Byron lui ressemble : aristocrate, pair du royaume, poète inspiré comme lui. Mais, dans les chapitres consacrés à Byron, il glisse quelques critiques acerbes sur les mœurs débauchées de ce séducteur : “les femmes étaient disposées à se laisser séduire avec frayeur par ce monstre, à consoler ce satan solitaire et malheureux.” Un satan Byron ? Pour René le pieux catholique bien sûr ! Il fulmine contre le païen, l’iconoclaste Byron, qui à Venise : “crache sur tous les sujets de Saints dont les églises regorgent et n’a jamais rencontré tableau ou statues approchant d’une lieue sa pensée.” Il veut discréditer la mémoire du Lord Poète qui ne sut jamais reconnaître, faute originelle, le génie du grand René. Il faut détruire Childe Harold !
À Venise, en 1833, il n’est plus rien sur la scène politique depuis trois ans. Rappelons qu’en 1830, il a refusé de servir Louis-Philippe d’Orléans, Il est l’homme-lige des Bourbons qu'il sert sans les estimer, au demeurant. Apparaître dans la société vénitienne lui pèse désormais. Il n’a plus à jouer un rôle de premier plan et son orgueil en souffre ; d’où cette façon de ressasser sa hargne envers Byron, fondateur du mythe de Venise Un soir, il se rend chez madame Albrizzi. Il y rencontre l’élégante société vénitienne. Écoutons monsieur le vicomte se délecter des commérages mondains. “Mme Albrizzi m'a conté tout Lord Byron; elle en est d'autant plus engouée, que Lord Byron venait à ses soirées. Sa Seigneurie ne parlait ni aux Anglais, ni aux Français, mais il échangeait quelques mots avec les Vénitiens et surtout avec les Vénitiennes. Jamais on n'a vu Mylord se promener sur la place Saint-Marc, tant il était malheureux de sa jambe. Mme Albrizzi prétend que quand il entrait dans son salon, il se donnait en marchant un certain tour, au moyen duquel il dissimulait sa claudication. (…) Mme Albrizzi affirme que dans l'intimité, on retrouvait en lui l'homme de ses ouvrages. Il se croyait dédaigné de sa patrie et par cette raison, il la détestait : dans le public de Venise, il était sans considération, à cause de ses désordres.” Le vertueux vicomte rapporte complaisamment ces médisances et prend bien soin d’ajouter : “elle m’avait vu disait-elle, dans l’amphithéatre de Vérone et prétendait m’avoir distingué au milieu des rois.” Ainsi le grand homme se sent reconnu, honoré ; un peu de baume sur ses plaies soulage son amour propre. Le lendemain, nouvelle invitation : “ayant passé une soirée chez Madame Albrizzi, je ne pus éviter une autre soirée chez la comtesse Benzoni. À dix heures je descendis de ma gondole comme un mort que l’on porte à San Cristoforo." La comtesse évoque, elle aussi, Lord Byron, elle : “s’exprimait sur son compte avec rancune. Il se mettait dans un coin parce qu’il avait une jambe torse. Il avait un assez beau visage; mais le reste de sa personne n'y répondait guère. C'était un acteur, ne faisant rien comme les autres afin qu'on le regardât, ne se perdant jamais de vue, (…) toujours à l'effet, à l'extraordinaire, toujours en attitude, toujours en scène, même en mangeant Zucca Arrostita (du potiron rôti). Le côté moral de l’homme était encore plus mal traité”, ajoute Chateaubriand qui fait semblant de plaindre Byron et prend sa défense. “Madame, vous êtes ce me semble, un peu sévère dans vos jugements. L’affectation de bizarrerie, de singularité, d’originalité, tient au caractère anglais en général.” Ainsi nous voyons Chateaubriand mélanger savamment et avec perfidie, louanges extrêmes et attaques virulentes, pour noircir Lord Byron, son rival en littérature.
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