Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Le Grand théâtre de Casablanca deviendra-t-il « une pyramide à l’abandon » ?
[Interview]
Le roi a donné le coup d’envoi des travaux du Grand théâtre de Casablanca, place Mohammed V, le 17 octobre. 10 jours plutôt, il lançait ceux du Grand théâtre de Rabat et inaugurait le musée d’Art moderne et contemporain à Rabat. Adil Madih, comédien à la Fondation des Arts vivants, metteur en scène de la pièce « A mon âge je me cache encore pour fumer », a confié à Yabiladi ses inquiétudes à propos de la gestion dans le temps de ces lieux de culture.
Yabiladi : L’inauguration du musée d’Art moderne et contemporain et le coup d’envoi de la construction des deux Grands théâtres de Casablanca et Rabat amorcent-ils une nouvelle dynamique culturelle au Maroc ?
Adil Madih : L’inauguration des travaux du Grand théâtre de Casablanca et la construction d’un Grand théâtre à Rabat ne peuvent que faire plaisir, mais pour moi ce n’est pas le plus important. J’ai peur de la folie des grandeurs. Le théâtre comptera 1800 places et se veut le plus grand théâtre d’Afrique, or amener les gens au théâtre au Maroc est une vraie difficulté. La pièce « Aujourd’hui, je me cache encore pour fumer » de la dramaturge algérienne Rayhana que j’ai monté au Maroc fait salle comble depuis le début des représentations, mais c’est assez exceptionnel.
La question ce n’est pas tant les infrastructures que les personnes qui vont gérer ces lieux d’art et de culture. Est-ce que ce seront des personnes issues du monde de la culture, des artistes, des gestionnaires bien formés ou bien est-ce que la gestion sera déléguée aux communes comme les autres espaces culturels ?
Pensez-vous que la mise en place du Grand théâtre bénéficiera d'une véritable programmation culturelle ?
La Fondation des Arts vivants et le maire de Casablanca ont lancé l’idée d’un Grand théâtre à Casablanca car il n’y en a aucun à la hauteur de la ville. Casa Aménagement a fait les choses dans les règles de l’art en organisant, si mes souvenirs sont bons, 4 ateliers réunissant la commune et les artistes, metteurs en scènes et poètes. Les débats auxquels j’ai assisté étaient intéressants. Nous avons pu déposer des recommandations et la commune nous a fait mille promesses. Aujourd’hui, les travaux ont commencé, mais nous ne savons rien de la future gestion du théâtre. On ne sait pas comment ça va se passer et j’ai peur que ces grands lieux de culture ne deviennent des pyramides à l’abandon, des construction sans âmes. J’espère me tromper.
Casablanca aurait déjà dû jouir d’un Grand théâtre, le théâtre Mohammed VI inaugurée en 2006. Qu’est-il devenu ?
Il est associé à un scandale de gestion. Les normes de construction n’ont pas été respectées. Le chef de la commune a été mis en prison. Quand des troupes venaient s’y produire, avant qu’il ne ferme, elles devaient ammener tout leur matériel d’éclairage parce qu’il était dangereux de fixer quelque chose sur les poutres. Aujourd’hui la scène elle-même est éventrée. Le théâtre est fermé.
Pourquoi les espaces culturels comme le théâtre Moulay Rachid, le théâtre de Bernoussi ou le théâtre Touria Sekkat ne fonctionnent-ils pas correctement ?
Aujourd’hui les centres culturels, les quelques théâtres de Casablanca sont gérés par les communes et plus précisément par les partis qui sont au pouvoir dans ces communes. Les élus en font ce qu’ils veulent. Le plus souvent, ils accueillent des réunions politiques ou les assemblées, les fêtes de telle ou telle association dont l’un des membres a des contacts à la commune. Ce sont des lieux fermés en temps normal, pour espérer s’y produire, il faut demander l’autorisation à la commune et tout est beaucoup plus simple si un membre de la troupe connaît quelqu’un à la commune.
A votre niveau, en tant que metteur en scène, avez-vous éprouvé personnellement des difficultés pour vous produire dans ces centres culturels ?
Lorsque la Fondation des Arts vivants est entrée au centre culturel d’Anfa, elle a rencontré des résistances au sein de la commune. Nous dérangions les gens dans leurs habitudes. Heureusement, nous avons des partenaires socio-économiques grâce aux contacts de Nourreddine Ayouch [fondateur de la Fondation des Arts vivants, de la Fondation Zakoura Education et président de la société Shem’s publicité, ndlr]. Pour la pièce « A mon âge je me cache encore pour fumer », j’ai cherché des espaces de représentations, mais impossible de réserver un centre culturel pour trois semaines. Les responsables de la commune nous disait qu’ils pouvaient avoir besoin de la salle à tout moment et restaient prioritaires. Un jour nous avions pu réserver la salle pour un soir, mais en arrivant nous avons trouvé sur place une fête organisée par une association. Il avait suffit qu’elle ait un bon contact à la commune pour qu’on lui ouvre la salle. Nous avons dû attendre qu’ils quittent le lieux et nous avons ensuite dû faire le ménage avant notre représentation. C’est un combat permanent.
Existe-t-il un théâtre au Maroc dont la gestion soit exemplaire ?
J’espère que le Grand théâtre de Casablanca sera géré comme le théâtre national Mohammed V à Rabat. Il a une vraie équipe, un budget de fonctionnement, une programmation. C’est également un lieu ouvert et un très bel endroit. Contrairement aux autres théâtres, il est directement géré par le ministère de la Culture. Ca induit une grosse différence.