Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Caravaggio, le dernier jour.
Enfin, partons sur les traces du Caravage, avec Bona Mangangu et ce merveilleux texte : Caravaggio, le dernier jour.
Porto Ercole, le 18 juillet 1610. Deux forteresses construites par les Espagnols au XVe siècle sur le Monte Argentario se font face, dominées par la mer : Fort Filippo II et la Rocca. La vieille ville à flanc de colline exhibe ses ocres, ses anciennes bâtisses, ses ruelles fleuries. Sur une plage déserte de la côte toscane, Caravaggio parle, seul, au seuil de la mort. Oublions sa langue pâteuse, ses emportements. Le vin qui coule de ses mots a suri. Mélange de sang et de sueur. C’est un tremblement de chemins inachevés que les replis de la mémoire dévoilent.
Chimères, souvenirs et regrets se mêlent dans un vain combat sans relâche, sans répit. Cherchez le sel du repentir du côté des larmes, l’apaisement au sein même de la cruauté. La rose fanée est dans sa paume, serrée, au-delà des souvenirs. L’homme est sans défense, ses jambes ne le portent plus. Seule sa parole fait barrage contre l’abîme. Il entend des voix, ouvre la bouche, bégaie des mots hasardeux, insensés : il délire. Il a des visions fantasmagoriques. Ce sont les mots du rivage ; le rivage où se dénoue un destin singulier.
Écrire, donner du sens, dire sa vie et la raconter, pour savoir, soi, ce qu’on a vécu, pour comprendre le sens de son passage dans le monde coloré et mouvementé, impétueux aussi, pour saisir en soi et dans les autres l’humanité, pour écouter le son qu’elle rend quand elle est parvenue aussi loin qu’il est possible dans l’existence. Seul le récit qu’on en fait permettra de reculer d’un pas, et de comprendre, et de transmettre sa compréhension. Caravaggio est parvenu à ce qu’il est convenu d’appeler le soir de sa vie ; ce soir déploie ses ombres et ses clairs-obscurs, ses derniers éclats de lumière aussi dans le texte. Il s’est placé dans un étrange lieu d’où parler, d’où s’adresser aux hommes, lui qui bientôt ne sera plus de ce monde. Il n’est pas tout à fait dans un autre monde, il est sur le seuil de ce monde. Tel, quand on est sur le départ, on se retourne une dernière fois et on ajoute quelques phrases encore. Il nous dit ce qu’il lui est essentiel de livrer sur son art, sur le lien intime entre lui et le monde, par quoi la singularité d’un artiste est universelle. Car en elle, humanité et création s’entrelacent et tissent un lien profond avec le monde complexe dans lequel nous sommes tous. Son regard est déjà fixé au loin mais il discerne encore des détails qui rendent toute la scène intensément vivante. Bona Mangangu tient cette note tout au long du livre, dans un monologue essentiel et d’un seul souffle. Comme chanté.
Isabelle Pariente-Butterlin
http://www.publie.net/nouveautes-ouest-jean-olmedo-caravaggio-bona-mangangu/