Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Histoire du Carnaval de Venise
Par Gilles Bertrand, Pygmalion, 2013, 358 p., 23,90 €.
Qui n’a en tête les masques sur la place Saint-Marc de Venise, les bals et concerts remis au goût du jour dans les années 1980 marquant la renaissance du fameux Carnaval de la Sérénissime, où les fêtes et déguisements les plus raffinés se mêlent à des divertissements plus simples et à des tenues pour le moins peu sophistiquées. Pourtant, ces nombreux touristes se déversant sur Venise affublés de tenues parfois empruntées au répertoire du football, ou simplement grimés, venus surtout pour danser et boire, ne renoueraient-ils pas avec les premières manifestations de ce carnaval ? Celui, qui, au Moyen Age, donnait « la liberté de manger et de boire de façon gargantuesque, de porter un masque, d’insulter le voisin, de lui lancer une voilée d’œufs […] de chanter des chansons pleines de sous-entendus politiques et sexuels ».
Pas tout à fait, explique Gilles Bertrand, et ceci au prix d’un double déplacement. D’abord, il ne faut pas croire que le carnaval de Venise a toujours été ce lieu de raffinement et de plaisir des sens tel qu’il s’est stabilisé à la période baroque, pour le plus grand plaisir des élites aristocratiques de l’Europe tout entière qui s’y pressaient durant les six mois dédiés aux festivités… Mais si le carnaval de Venise, né au XIe siècle, empruntait au caractère de « défoulement » collectif autorisé avant le Carême, à l’instar des carnavals des autres villes méditerranéennes, avec ses caractéristiques de « fête à l’envers » (D. Fabre), il n’en a pas moins été, du XIe au XVIe siècle, aussi un rituel civique et une affaire d’État, destinés à mettre en scène la hiérarchie sociale et à faire reconnaître partout la gloire de la Sérénissime.
Avec le carnaval baroque qui constitue « le modèle » du carnaval vénitien, ce sont les multiples divertissements, les concerts, les spectacles, la splendeur des costumes tout comme la très grande liberté des mœurs qui attirent les classes dominantes de l’Europe. Et pourtant, cette liberté fut très vite contrôlée par l’État : il n’est pas question de transgresser l’ordre social, le port des masques fut codifié à plusieurs reprises, les dépenses somptuaires ou la nature des déguisements encadrées. Et alors que Venise perd de sa puissance et de sa richesse, le carnaval, forme d’exorcisme collectif, se maintiendra jusqu’en 1797 date de la fin de la République. Ensuite le carnaval s’embourgeoisa et, surtout, perdit son caractère de vitrine et de ciment civique, sous les occupations française et autrichienne et il s’enlisa lentement, tout au long du XIXe siècle, dans une évocation mélancolique des splendeurs de Venise en phase avec les évolutions du tourisme étranger. Sa résurrection, en 1980, ne fut au fond que de courte durée…
http://www.histoire.presse.fr/livres/general/histoire-carnaval-venise-23-12-2014-126543