Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Picorer de bacaro en bacaro
Picorer de bacaro en bacaro
Photo: Carolyne ParentLa Cantina do Mori est bien connue pour ses francobolli, de petits sandwichs pas de croûte garnis de viande froide, de gorgonzola, etc.
Alors qu’à l’heure de l’apéro, toute l’Italie s’adonne à la tradition de la passeggiata, une promenade que tutti font pour voir et être vus, les Vénitiens, eux, se donnent plutôt rendez-vous pour un giro di ombre. Cette tournée des grands-ducs serait même un legs de ceux qui ont fait la fortune de l’ancienne cité des doges : les marchands.
La guide Corine Govi rappelle en effet qu’au Moyen Âge, au marché du Rialto, on n’avait pas une minute à perdre… « Venise, ville de commerce, a toujours voulu contrôler le temps, explique-t-elle. Pressés, les marchands buvaient directement au comptoir un verre d’ombra, un vin blanc qu’on gardait à l’ombre pour le conserver frais. Et parce qu’ils en faisaient plusieurs, de ces comptoirs, pour se rassasier, est né le giro. »
Rien à voir, donc, avec le tour cycliste, et tout avec un 5 à 7 convivial, ou une sortie de fin de soirée. « Ici, on n’invite pas les gens chez soi pour prendre l’apéro, ça ne se fait pas, poursuit la Franco-Vénitienne. On se donne plutôt rendez-vous au bacaro [bar à vin] et on fait une soirée cicheti. »
Ces cicheti sont en quelque sorte les tapas trad de Venise, plus goûteuses que raffinées. Au menu (l’automne dernier), des classiques saisonniers : crostini à la mousse de morue, artichauts marinés, boulettes de boeuf en sauce tomate, calmar grillé, croquettes de thon, canapés de poisson, oeufs durs, saucisson, fromage, allegria ! Et elles ne sont pas chères du tout, ces bouchées : entre 1,50 et 2 euros pièce.
Autour du Rialto, où, selon Mme Govi, plusieurs des meilleurs bars sont concentrés, la Cantina do Mori est bien connue pour ses francobolli, de petits sandwichs pas de croûte (d’où leur nom de timbre-poste) garnis de viande froide, de gorgonzola ou d’autres bonnes choses. Nous y sommes allés et n’avons pas été déçus, à l’instar de l’ex-chef américaine Marlena De Blasi, qui en fait l’éloge dans son archi-populaire récit 1000 jours à Venise. Primo, le bar daterait du XVe siècle, et cela se voit ! Secundo, le personnel est sympa, ce qui n’est pas toujours le cas dans cette ville de 56 000 habitants qu’envahissent 24 millions de touristes annuellement… Tertio, les amuse-gueules sont excellents, comme il se doit.
À deux pas, l’All’Arco a aussi bonne réputation. « C’est le plus populaire de tous présentement parce que des jeunes l’ont repris et modernisé », dit la guide. Non loin, la Cantina do Spade est réputée pour ses calmars frits.
Dans Dorsoduro, du côté du campo Santa Margherita, Do Draghi est un autre bacaro apprécié et, celui-là aussi, à peine plus grand qu’une gondole. Ici, basta l’ombra ; vivons dangereusement et commandons un Aperol Spritz.
Selon Mme Govi, l’origine du spritz remonte à l’occupation autrichienne de la Sérénissime. Ne pouvant boire trop de vin, les soldats cherchaient à allonger le vin blanc local d’eau gazeuse et, comme ils étaient incapables de s’expliquer en italien, ils imitaient le son de cette eau en lançant des « Spritz ! Spritz ! » aux barmen de la ville. Un cocktail est ainsi né, qui en a inspiré bien d’autres. À base de soda et de prosecco, un spritz relevé d’Aperol, une liqueur aux herbes d’un bel orangé vif, devient un Aperol Spritz. Mais attention, danger, vraiment : le cocktail que concocte Do Draghi est tellement bon que la suite de votre giro pourrait bien s’en trouver compromise…
Carolyne Parent s’est rendue à Venise avec le concours d’Air Transat.
http://www.ledevoir.com/art-de-vivre/voyage/427525/venise-picorer-de-bacaro-en-bacaro