Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Les 10 moments qui ont contribué à façonner les États-Unis
Réseau social d’informations
Par Étienne Augris, professeur agrégé d’histoire
Petite sélection de deux dates clé de l’histoire des États-Unis, parmi les dix à découvrir dans votre revue…
Parmi les pays déjà traités dans cette série de L’éléphant, les États-Unis se distinguent par leur jeune âge comparé à la Grande-Bretagne ou à la France. Aux États-Unis, le sentiment d’appartenance nationale se construit d’abord, au xviiie siècle, sur la côte est autour d’un projet politique mais aussi par rapport à un Autre perçu de manière plus ou moins hostile. Cet Autre est tour à tour l’Indien, le Français, l’Espagnol ou encore le Britannique. Par conséquent, le projet national est l’œuvre d’un groupe dominant – les Blancs anglo-saxons protestants – qui impose sa vision aux autres groupes, même si la diversité des cultures, des langues et des religions oblige très tôt les États-Uniens à forger des compromis.
La tension entre projet national et écriture de l’histoire du pays donne donc lieu, sans doute plus qu’ailleurs, à des versions très différentes. Naturellement, l’histoire telle qu’elle est racontée emprunte largement à un « roman national » écrit par le groupe dominant, qui consacre les Pères pèlerins du xviie siècle puis les Pères fondateurs du xviiie. Les groupes opprimés tels que les Indiens ou les Afro-Américains ont toujours entretenu, en particulier sous forme orale voire chantée (pensons aux negro spirituals), des récits alternatifs qui sont davantage pris en compte par l’historiographie aujourd’hui. L’historien Gary L. Gerstle, dans l’entretien qu’il nous a accordé, nous donne quelques clés pour mieux appréhender cette tension.
Le premier événement de cet article aurait ainsi pu être l’arrivée des Amérindiens sur le continent depuis l’Asie. Cependant, cette arrivée fait encore débat quant à sa datation (plus ancienne que l’an 10 000 avant notre ère) et à sa géographie (par le détroit de Béring ou par le Pacifique). L’archéologie, la linguistique ou la génétique et la tradition indienne ne sont pas toujours en accord. Nul doute cependant que cette venue a précédé celle des Européens, qui, après les éclaireurs vikings du xe siècle, « découvrent » ce qu’ils vont peu à peu envisager comme un « nouveau monde » et non comme une partie de l’Asie. C’est bien entendu cette erreur de départ qui est à l’origine du terme « Indien » utilisé par Christophe Colomb.
Parmi les questions qui traversent les moments clés sélectionnés, une autre tension importante, celle de la place des entités constituantes du territoire dans un ensemble aussi vaste. Les crises et les guerres, en particulier celles du xxe siècle, qui s’inscrivent en filigrane dans les choix que nous avons faits ont accouché d’un compromis. Celui-ci a permis l’émergence et l’affirmation d’un État fédéral dont les compétences ont évolué pour s’imposer dans de nombreux domaines aux États fédérés, non sans résistance.
Quant à la place de la religion, autre élément clé transversal, la diversité a entraîné l’absence de religion officielle et facilité la reconnaissance de la liberté de culte. Cependant, une très forte religiosité imprègne la société et la vie publique du pays sans pour autant être rattachée à une dénomination précise. Cette particularité est souvent mal comprise, en particulier en France.
Remerciements à Jennifer Howell, à Romain Huret et aux membres de l’American Historical Association pour leurs conseils
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1861-1865
La guerre civile renforce l’unité du pays
Aux origines de la sécession et du conflit, il y a bien entendu l’esclavage, mais aussi les questions de classe, de pouvoir et de démocratie, notamment lors du débat à propos des nouveaux États (Missouri, Kansas). L’indignation morale n’est pas une généralité au Nord : le sentiment que les esclavagistes veulent imposer leur mode de vie et que celui-ci pourrait remettre en cause les libertés publiques, y compris celles des Blancs, suffit, en novembre 1860, à mobiliser les électeurs en faveur du parti républicain d’Abraham Lincoln.
Les États du Sud, connaissant l’aversion personnelle du nouveau président pour « l’institution particulière » qu’est l’esclavage, comprennent qu’ils ne pourront plus imposer leur vision au pays. Plusieurs d’entre eux affirment que cette victoire signe la fin de l’Union. Dès décembre, la Caroline du Sud fait sécession, rejointe par sept autres États. La guerre éclate en avril 1861 lorsque Fort Sumter, tenu par l’armée fédérale, est bombardé par les forces sécessionnistes.
La détermination du Nord à ne pas céder explique sa victoire finale. Mais si ses moyens humains et économiques sont largement supérieurs à ceux du Sud, le manque de ténacité et d’initiative des généraux nordistes empêche pendant longtemps d’exploiter cet avantage. Et puis il y a en face le général Lee, un Virginien fidèle à son État sans être pour autant un défenseur de l’esclavage. La force de Lee, c’est d’anticiper les intentions de ses adversaires et de compenser la faiblesse numérique de ses hommes par une plus grande mobilité qui lui permet de choisir le terrain favorable. Sa stratégie est d’obliger l’Union à négocier et donc à reconnaître les États confédérés. Il commet pourtant des erreurs, comme à Gettysburg en juillet 1863, l’une des deux incursions sudistes au Nord : il choisit d’y lutter frontalement et subit d’énormes pertes. En novembre, Lincoln rappelle, sur le lieu même de la bataille, les fondements de la démocratie américaine. Dès le mois de janvier précédent, la proclamation de l’émancipation des esclaves avait marqué un point de non-retour entre les belligérants.
Le début de la guerre est donc plutôt à l’avantage des Sudistes mais, en 1863-1864, la situation évolue avec la prise de contrôle du Mississippi par le général Grant qui coupe les États sécessionnistes en deux parties. Au centre, Sherman ravage Atlanta. À l’est, Grant, qui est devenu le chef des armées de l’Union, porte le danger en Virginie. Lee doit se rendre en avril 1865.
La « guerre civile » a été une guerre totale qui a considérablement touché les civils. Pour la première fois, la conscription a été décrétée. Le conflit contribue paradoxalement à l’unité du pays, dont le nom se décline désormais au singulier… mais à quel prix ! Plus de 600 000 Américains ont perdu la vie, et les rancœurs n’ont pas disparu. La défaite de la Confédération signifie la fin de l’esclavage, mais la question de l’égalité des droits pour les Noirs est encore loin d’être résolue.
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1964-1981
Entre contestations et « révolution conservatrice »
Lorsque les générations nées après 1945, celles du « baby-boom », parviennent à l’âge adulte, les sociétés des pays industrialisées connaissent un mouvement de fond en lien avec la croissance économique exceptionnelle et les transformations sociales qu’elle induit. Ce mouvement de contestation n’est pas propre aux États-Unis, mais il contribue à ébranler le modèle américain si fièrement défendu dans ce contexte de guerre froide. L’opposition porte sur différents aspects du modèle, outre la question des droits civiques évoquée plus haut.
Si les femmes votent depuis 1920, la revendication de leurs droits, comme en Europe, suscite une forte mobilisation de la part des féministes. Elle aboutit à la légalisation de la contraception en 1965 et à celle de l’avortement en 1973 par décision de la Cour suprême. Une loi fédérale de 1972 rend illégale toute discrimination fondée sur le sexe.
Avec la conscription qui contraint de nombreux jeunes à aller combattre en Asie, la guerre du Vietnam devient un enjeu majeur de la contestation. La médiatisation sans précédent du conflit aboutit à son rejet et contribue à l’impopularité du président Johnson.
L’année 1968 voit la conjonction de ces différents sujets. Au printemps, des émeutes éclatent dans plusieurs villes du pays suite à l’assassinat de Martin Luther King, dans la lignée de celles qui secouent des ghettos noirs depuis 1965 (Los Angeles, Detroit). L’été est également marqué par des violences, notamment à Chicago lors de la convention démocrate. Le festival de Woodstock, organisé en 1969, est un temps fort musical qui sert de caisse de résonance aux revendications.
En même temps et en réaction à ces contestations, l’Amérique conservatrice entame sa reconquête du pouvoir. Au cours des années 1960, les lois mettant fin à la ségrégation dans le Sud, initiées par Johnson (lui-même texan), font basculer les démocrates conservateurs de ces États du côté des républicains. Ceux-ci, avec Richard Nixon, reprennent le pouvoir en 1968 en n’hésitant pas à faire appel à la « majorité silencieuse », celle qui n’a pas participé à l’agitation étudiante et aux émeutes urbaines. C’est un message clair envoyé aux conservateurs. La domination des libéraux – au sens américain, c’est-à-dire de gauche – sur les campus universitaires n’a d’ailleurs pas empêché les jeunes conservateurs de s’organiser au niveau local. L’historien Romain Huret résume ainsi cette stratégie : « Leur objectif a toujours été de démanteler par en bas ce que les libéraux avaient construit par en haut. »
Dépassant le scandale du Watergate qui, en 1974, affaiblit les républicains et ébranle la démocratie états-unienne, cette Amérique conservatrice trouve son champion en Ronald Reagan. Élu à la présidence en 1980, ce dernier met fin au cycle progressiste entamé dans les années 1930 en affichant son souhait de mettre à bas l’État-providence sur fond de retour du religieux et de discours manichéen.
(à suivre)
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