Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Pour une poignée de polars à Lyon
Pour une poignée de polars à Lyon
Virginie Despentes (ici en 2013 à Paris), dont l'œuvre est cousine de l'univers du polar. (Photo Albert Facelly)
Une centaine d’auteurs, 70 000 visiteurs… retour sur la 11e édition des Quais du polar.
«Personne ne naît mauvais, même Hitler, ça vient progressivement. Voyez le pilote du crash Germanwings.» Le mot est de Sascha Arango, auteur de la Vérité et autres mensonges. Ce nouveau venu, jusque-là scénariste, est allemand et donc concerné au premier chef. Mais l’ombre suicidaire et létale d’Andreas Lubitz a de toute façon plané sur les onzièmes Quais du polar de Lyon. D’aucuns ne croyaient d’ailleurs pas au scénario, se fendaient d’un complotiste «on nous cache un truc, on met tout sur le dos d’un type qui ne pourra pas répondre». Le polar est un bon terreau pour la méfiance, voire la paranoïa, si affinités.
«Couteau». La paranoïa justifiée, et totale, engloutissante, a été pendant des années le quotidien de Horacio Castellanos Moya. Né au Honduras il y a cinquante-huit ans, cet ancien journaliste en avait 21 quand sa famille a déménagé pour le Salvador, dont son père était natif. Pile au moment où la guerre civile a éclaté. «J’ai vécu en Amérique, j’ai vécu en Allemagne, mais jamais je n’écrirai sur l’Amérique ou l’Allemagne. Ma banque de données est salvadorienne.» Horacio Castellanos Moya ne s’est pas remis du traumatisme subi alors qu’il devenait un homme. Il dit : «J’ai mis trente ans pour écrire sur la guerre civile : j’étais repris par la terreur. […] Dans des situations pareilles, tous les sens se polarisent de façon extrême, avec une intensité qu’on pourrait couper au couteau.» Horacio Castellanos Moya, dont la veine est ostensiblement parodique, livre l’autoportrait suivant : «Un écrivain hypocondriaque, aigri, qui tend à ne voir que le côté obscur des choses, qui se méfie de l’être humain et se sent mal à l’aise parmi ses semblables.»
Mais ne pas supporter la barbarie est un signe d’humanité. Virginie Despentes, qui l’admire et qui faisait là sa connaissance : «Les livres de Horacio sont d’une noirceur qui n’est tolérable que par son humour. Sachant que dans le roman noir sud-américain, il est question d’une violence réelle, pas symbolique.»
«Gourde». Virginie Despentes, 45 ans, faisait partie des poids lourds de cette édition 2015, qui affichait entre autres Michael Connelly, John Grisham, Patricia MacDonald, Elizabeth George, Val McDermid, Ian Rankin, Leonardo Padura, Yasmina Khadra. C’était pour elle une première et un retour à Lyon où elle a vécu de 17 à 24 ans, disquaire entre autres. Impression ? «Ça me bombarde d’émotions.» Despentes a le sens de la formule, dit de son personnage de La Hyène qui revient dans le récent Vernon Subutex après sa naissance dans Apocalypse bébé : «Elle est un peu comme Clint Eastwood, mais gouine. Je l’adore parce que, moi, je suis plutôt timide et gourde.»
Despentes n’est pas estampillée «polar», mais son œuvre serpentée par une sensibilité écorchée, corrosive et militante, cousine avec le roman noir. Virginie Despentes s’est dans un sens apaisée, dit : «Avec King Kong Théorie, je me suis rendu compte qu’on n’était pas en guerre, les lecteurs et moi.» Il y a vingt ans, elle pliait Baise-moi en quinze jours, elle a depuis appris le labeur, décrit un work in progress empirique plus que méthodique. Un bordel assumé avec l’assurance de celle qui se connaît bien : «Cette confusion-là, elle m’est précieuse.»
Un joyeux bordel : c’est l’impression que dégageait la table ronde sur les 70 ans de la «Série noire», qui réunissait mammouths (Patrick Raynal, Jean-Bernard Pouy) et jeunes lions (l’actuel directeur de la collection, Aurélien Masson, et les auteurs DOA, Elsa Marpeau, Caryl Férey, Frédéric Jaccaud). L’affaire n’a pas été retransmise sur France Culture comme prévu. Loin de toute aigreur, Patrick Raynal balançait en introït, le poing levé : «Vive la grève !»