Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Bombay découvre le luxe du métro
La ville la plus peuplée de l’Inde n’a sa première ligne de métro que depuis un an. Une ligne qui est exploitée par deux groupes français de transport et qui a bousculé bien des habitudes.
31/5/15 - 11 H 11
À Bombay, les pétarades des moteurs et l’explosion des avertisseurs sonores sont aussi tangibles pour les sens que la chaleur moite qui pèse sur la mégapole de 13 millions d’habitants. La circulation de la plus peuplée des villes indiennes ressemble à une bataille anarchique où s’affrontent des milliers de cyclomoteurs, de voitures et de bus souvent à bout de souffle, mais aussi une armée innombrable de rickshaws, les bruyants taxis-tricycles indiens, et même, parfois, des carrioles tractées à la force humaine ou animale.
Dans le nord de la ville, il faut près de deux heures pour relier en bus la douzaine de kilomètres qui sépare les quartiers de Versova, à l’ouest, et de Ghatkopar, à l’est. Depuis un an, le premier métro de Bombay, une ligne aérienne, permet ce trajet en vingt-quatre minutes. «Il relie deux gares importantes du réseau de trains suburbains de la ville : Andhari, à l’ouest, et Ghatkopar, à l’est», explique Éric Labartette, le directeur pour l’Inde de la coentreprise créée par RATP Dev et Transdev.
Cette alliance entre deux groupes français de transport exploite et maintient la ligne dans le cadre d’un contrat de cinq ans d’un montant de 50 millions d’euros. La coentreprise affiche des niveaux de ponctualité et de fiabilité à rendre jalouses de nombreuses villes occidentales, dépassant les objectifs fixés par l’Indien Reliance, le concessionnaire pour trente-cinq ans de ce métro dans le cadre d’un partenariat public-privé.
Une fois passés les détecteurs de bagage, les usagers découvrent des stations au sol étincelant. Les voitures climatisées, qui circulent au-dessus de nombreux bidonvilles, parfois au pied d’immeubles neufs, sont dans un état impeccable.
Une demi-voiture est réservée aux femmes seules. «Les femmes les fréquentent moins pour des questions religieuses que pour échapper aux mains baladeuses de nombreux harceleurs sexuels», explique Emily, une Britannique expatriée depuis deux ans. Sur le quai, les voyageurs forment une sage file d’attente et respectent la descente des usagers… Une vision inhabituelle des transports publics à Bombay !
Il a fallu bousculer bien des habitudes de comportement. Le contraste est saisissant à la station Andhari, où le métro est en connexion avec la gare de trains de la Western Railways au niveau inférieur. En dessous, dans les trains qui passent à toute allure, des grappes de voyageurs s’agrippent aux montants des toits, les pieds à peine posés sur le bord des voitures démunies de portes.
Les trains de Bombay battent des records de fréquentation avec une densité de plus de 16 voyageurs au mètre carré. Les plus aisés acceptent de payer sept fois plus cher pour être en 1re classe : 105 roupies (1,5 €) contre 15 roupies (21 centimes d’euros), sans que le confort change véritablement. À chaque station, la compétition est rude pour monter ou descendre, et certains préfèrent sauter en marche avant l’arrêt pour éviter les bousculades.
Entre les chutes de voyageurs ou les piétons happés par les trains en traversant les voies, le bilan est très lourd. «Chaque jour on compte une dizaine de morts sur le réseau des trains de Bombay, dit Éric Labartette. Un opérateur occidental ne pouvait accepter une telle situation.»
La formation des salariés du métro a donc été intense mais surtout la pédagogie à destination des voyageurs, à grand renfort d’agents et de mégaphones à chaque porte des rames pendant les premières semaines. Il a fallu aussi empêcher les gens de traverser les voies ou de descendre ramasser un téléphone tombé sur les rails.
Au bout d’un an, les exploitants ne déplorent qu’un bras cassé et quelques contusions… dus aux escalators devenus une attraction touristique. «Nous avons eu plus de travail avec les gens qu’avec les machines», dit en riant Manoj Dighae, le directeur d’exploitation de la ligne 1.
Le métro n’a toutefois pas réussi l’épreuve de la fréquentation. Le concessionnaire tablait sur 600 000 passagers quotidiens. Après une pointe à 450 000 le premier mois, effet de curiosité oblige, le trafic est tombé à 250 000 passagers. Il faut dire que les prix, sur lesquels RATP et Transdev ne sont pas décisionnaires, ont explosé : de 10 roupies (14 centimes d’euro) à 40 roupies (57 centimes d’euro). Le concessionnaire voulait pallier le doublement des coûts d’investissement dû aux retards chroniques du projet, causés surtout par des contestations d’acquisition de terrains. Au départ, la mise en service était prévue en 2009.
«Le métro est réservé aux plus nantis et c’est injuste», proteste d’ailleurs Anish, cadre dans une entreprise de nettoyage, qui descend à Andhari. De fait, les voyageurs de la rame semblent dans leur majorité faire partie de la classe moyenne. «Nos vendeurs au guichet, avec leur salaire mensuel moyen de 10 000 roupies (143 €, NDLR), ne peuvent pas se permettre de prendre chaque jour le métro», reconnaît-on chez les exploitants de la ligne. L’espoir est revenu avec une hausse récente du tarif des autobus qui a ramené des voyageurs mais la barre de 350 000 voyageurs/jour mettra encore peut-être deux ans pour être atteinte.
En raison de la course folle de sa démographie, Bombay a pourtant un besoin crucial de nouveaux moyens de transports publics. «Pour l’instant, le réseau de métro est embryonnaire, mais au moins deux autres lignes sont en préparation», dit Éric Labartette. Selon lui, le succès ne sera au rendez-vous que si les interconnexions sont en nombre suffisant et si la ville conduit une politique globale de la mobilité.
Reste que les choses se font souvent lentement en Inde. Il y a une quinzaine de jours, la presse locale relatait que les autorités locales hésitaient encore entre des métros souterrains ou aériens pour les futures lignes. L’expérience de la ligne 1 a montré qu’un métro aérien faisait face à de nombreuses contestations.
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BOMBAY, PARMI LES VILLES LES PLUS DENSES AU MONDE
Bombay, capitale économique de l’Inde, est aussi la ville la plus peuplée du pays avec 13 millions d’habitants. À l’échelle de l’agglomération, la population atteint 22 millions d’habitants, ce qui en fait la 5e agglomération la plus peuplée au monde. Les experts tablent sur 26 millions d’ici à 2025.
La ville, en forme de péninsule, est bloquée au sud par l’océan et a dû s’étendre de plus en plus vers le nord en raison de sa démographie galopante. La densité de population atteindrait 29 000 personnes au km2 (la 3e densité mondiale). Mais plus de la moitié des habitants se concentrent dans les nombreux bidonvilles où la densité serait près de trois fois supérieure.
Avec près de sept millions de passagers transportés par jour, le réseau de train est considéré comme le plus surchargé au monde. Les bus, souvent paralysés par les embouteillages, sont utilisés par plus de quatre millions de voyageurs quotidiens.
Michel Waintrop (à Bombay)
31/5/15 - 11 H 11
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