Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
La 56e Biennale de Venise a fait un carton
Fréquentation record pour cette édition plus longue d'un mois. Le public n'a pas faibli depuis début mai pour découvrir, applaudir ou critiquer cet état des lieux de l'art contemporain en 2015.
Tout l'art du monde sur la lagune! La 56e Biennale de Venise, présidée par Paolo Baratta, s'est achevée dimanche 22 novembre avec une série de chiffres positifs qui témoignent de l'engouement croissant du public pour l'art contemporain. Depuis début mai - fait historique, la Biennale a été avancée d'un mois pour cause d'Exposition Universelle à Milan- , ce rendez-vous majeur de l'art contemporain a attiré 500.875 visiteurs en sept mois, contre 475.000 visiteurs pour l'édition de 2013.
À titre de comparaison, ils n'étaient que 196.000 en 1999, a souligné avec bonheur Paolo Baratta qui gère toutes les biennales (arts, architecture, cinéma) avec la carrure de l'ancien ministre qu'il fut. À noter aussi, monde plat d'internet oblige, qu'en plus des personnes en chair et en os, 1,493 million d'internautes ont exploré le site web de la Biennale, pourtant assez rude d'usage, soit un total de 8,575 millions de vues.
Il faut ajouter à ce total déjà confortable les quelque 24.065 tout premiers visiteurs de la semaine de vernissage (+17,83% par rapport à 2013), dont 8100 journalistes accrédités (5450 de la presse internationale et 2650 de la presse italienne) et, désormais, les 2768 amateurs particulièrement décidés qui ont payé une «Biennale Card» pour accéder à cette semaine réservée aux professionnels de l'art. À noter que les jeunes et les étudiants ont représenté cette année 31% du total du public. Les étudiants venus en groupes décrypter et analyser la plus ancienne des biennales - cet état des lieux de l'art contemporain à un instant donné - en représentaient 14%.
La moyenne par jour ouvrable est plus que dense avec 2899 visiteurs, même s'ils sont de plus en plus disséminés dans la cité lacustre, de la compétition officielle déjà très étoffée à la rituelle mise en abîme de l'art contemporain par le mariage avec les Anciens d'Axel Vervoordt au Palazzo Fortuny (splendide salle Anish Kapoor et Giacometti).
Encore plus de bouchons cette année dans les vaporetti qui allaient de la place Saint-Marc et du Grand Canal aux Giardini. Les pavillons nationaux y avaient souvent les faveurs du public (57% de la billetterie), avec nombre de coups de cœur pour le Japon (naufrage rouge par Chiharu Shiota), la Suisse (transposition architecturale et sensuelle d'un Rothko par la jeune Pamela Rosenkranz), la Pologne (les deux artistes C.T. Jasper et Joanna Malinowska mêlaient opéra polonais et reportage dans un Haïti délavré avec Halka/Haiti 18°48'05N 72°23'01W ) ou l'Australie qui inaugurait son tout nouveau pavillon, cube noir signé de l'agence Denton Corker Marshall (Fiona Hall y réinventait les arts premiers de demain avec son installation digne d'une sorcière Entitled Wrong Way Time).
Les femmes sculptées de Wangechi Mutu
Même foule pressée et avide à l'Arsenal où se déployait le corps principal de All The World's Futures, l'exposition fort politique du commissaire d'origine nigériane, Okwui Enwezor (26% de la billetterie), critique, poète, historien de l'art classé n°24 par ArtReview dans sa liste des 100 personnalités les plus influentes de l'art en 2014 .
Cet homme fort de la scène contemporaine internationale, dialecticien souriant et bel orateur formé aux États-Unis, a invité nombre d'artistes nés ou émanant du continent africain pour sa démonstration d'un monde artistique reflet des rapports de force et des conflits symboliques de l'histoire: des Camerounais Pascale Marthine Tayou et Barthélémy Toguo, tous les deux nés en 1967, à la belle Kenyane, Wangechi Mutu, qui était à l'honneur dès le mois de mai au tout nouveau Whitney Museum de New York. Une question culturelle et identitaire qu'il a souvent abordée lors de sa longue et brillante carrière et dont on attendait une sorte de révélation ultime à Venise.
Révélation réussie avec le jeune artiste venu du Ghana, Ibrahim Mahama, dont l'installation sans fin en toiles de jute, Out of Bounds, 2015, rappelait de façon très concrète le poids de l'histoire coloniale et de ses commerces dans le long couloir de l'Arsenal qu'arpentent les festivaliers à longueur de visite.
Le courage de Sarkis l'Arménien
Confirmation bienvenue avec le Lion d'or d'honneur décerné au vétéran de la scène africaine, le Ghanéen El Anatsui, bien connu des collectionneurs français, du Centre Pompidou au Festival de Chaumont. Simple et chaleureux, soutenu par un petit groupe de fans spectaculaires comme leurs nattes et leurs rires, venus du Ghana, ce professeur était le seul coup de coeur unanime d'un palmarès assez politiquement correct: de l'artiste américaine Joan Jonas, reine conceptuelle et féministe, au pavillon de l'Arménie, œuvre collective parfaitement inaccessible sur son île de San Lazzaro degli Armeni pour qui n'avait pas son motoscafo personnel. Beaucoup auraient trouvé plus courageux de couronner Sarkis l'Arménien qui a mis toute sa poésie et sa profondeur pour oser représenter la Turquie en son pavillon officiel.
S'ouvrant sur les œuvres historiques de Bruce Nauman et les bouquets d'armes de l'artiste franco-algérien Adel Abdessemed, finissant en apothéose avec les huit immenses tableaux noirs du peintre allemand Georg Baselitz d'une beauté renversante (aussitôt achetés par François Pinault), cette réflexion d'Okwui Enwezor sur les mondes de l'art en a emballé certains. Comme le Britannique d'origine ghanéenne, David Adjaye, qui en a d'ailleurs signé l'architecture.
En a intrigué beaucoup qui s'attendaient à plus de vraies découvertes et de choix forts, toujours le paradoxe dans ce marathon de l'art qui enivre, épuise et doit séduire des esprits aussi repus que difficiles. Le choc a souvent été la fausse mosquée du pavillon islandais, si convaincante qu'il a fallu fermer ce faux lieu de culte après un mois d'ouverture, pour excès d'affluence et/ou raisons de sécurité.
Et, au final, a laissé circonspects nombre des festivaliers les plus aguerris qui y voyaient surtout la difficulté pour un commissaire de tenir la ligne de son idée avec les moyens du bord. Beaucoup d'artistes semblaient s'être greffés sur l'exposition phare du fait de la puissance financière de leurs galeries, notaient les plus sévères.Qui aime bien, châtie bien. C'est vrai en art contemporain, aussi.
Les retardataires sont en général plus positifs dans leurs jugements, car ils visitent une biennale sans foule ni diktats en associant tourisme et culture. Cette année, l'actualité en a jugé autrement. Nicole et Claude, Parisiens et quadras partis en amoureux découvrir la Biennale, pile l'avant-dernier week-end, sont arrivés sur la lagune au lendemain du massacre du 13 novembre. Ils ont vécu trop en direct le chaos et la violence pour accepter de bon gré le pessimisme et l'âpreté qui se dégageaient de «All The World's Futures». Fuite devant tant de noir, nous disent-ils, et refuge dans les visions océanes du peintre irlandais Sean Scully au Palazzo Falier et les sculptures géantes de Jaume Plensa à San Giorgio Maggiore .