Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Charlotte Salomon, une vie en peinture
Première édition intégrale de l’œuvre monumentale de l’artiste allemande assassinée en 1943 à Auschwitz avec son compagnon, alors qu’elle était enceinte de cinq mois.
25/11/15 - 13 H 22
VIE ? OU THÉÂTRE ?
de Charlotte Salomon
Le Tripode, 820 p., 95 €
«J’appris à suivre tous les chemins, et j’en devins un moi-même.» Cette citation de l’Allemande Charlotte Salomon, assassinée à Auschwitz en 1943 à l’âge de 26 ans, résonne puissamment à la découverte de Vie ? Ou Théâtre ?. Cette œuvre picturale monumentale, méconnue, surgit en effet comme une invitation à suivre un chemin, à la fois du regard, de l’esprit et du cœur. Il s’enracine dans l’histoire tragique du XXe siècle, dans celle d’une intimité familiale douloureuse, et mène vers une modernité artistique très originale.
Qu’est-ce que Vie ? Ou Théâtre ? ? Un journal intime, un roman d’apprentissage dessiné, une «opérette aux trois couleurs» (comme elle le sous-titra elle-même), une tragicomédie faisant vivre à d’innombrables personnages – dont son double, Charlotte Kann – des destins à la fois triviaux, philosophiques, joyeux, mélancoliques, amoureux ou métaphysiques. À les voir on ressent un bouquet d’émotions convoquant tous les sens, comme une œuvre musicale pourrait en produire l’effet.
Son histoire familiale marque bien sûr fortement cette fiction biographique, notamment le thème du suicide de sa lignée maternelle. La Berlinoise Charlotte Salomon rejoint en janvier 1939 ses grands-parents maternels, réfugiés dans la région de Nice. Le 5 mars 1940, sa grand-mère se défenestre sous ses yeux. Son grand-père lui révèle alors le suicide de sa mère, lorsqu’elle avait 8 ans, et la mort de sa tante, trois ans avant sa naissance, à qui elle doit son prénom. Jailliront spontanément, en un peu plus d’un an, plus d’un millier de gouaches mettant en scène son histoire.
Son œuvre porte l’empreinte de l’expressionnisme allemand et de l’enseignement reçu aux Beaux-Arts de Berlin, dont elle fut la dernière étudiante juive avant son exil, mais elle trace surtout une voie singulière, très construite, expression d’un univers total. Partiellement exposée et publiée depuis l’après-guerre, elle est encore à découvrir dans sa démesure (en France, elle fut montrée en 1992 au Centre Georges-Pompidou, et partiellement lors de l’exposition «L’Art en guerre» au Musée d’art moderne de la Ville de Paris en 2012, qui fut l’occasion de sortir de l’oubli plusieurs figures de résistance à la montée du nazisme, dont l’Alsacien Joseph Steib – auquel les Éditions La Nuée bleue viennent de consacrer un ouvrage.
La couleur y joue un rôle éminent (ses gouaches sur Canson sont peintes exclusivement à partir des trois couleurs primaires, souvent mélangées), donnant l’impression de jaillir tel un flux organique et vital. La fusion des images et du texte, qui vient s’inscrire sur les dessins (s’y superpose à l’aide de calques, ou encore parfois figure seul, en lignes serrées et colorées formant une composition picturale), préfigure les romans graphiques contemporains. Conservée au Jewish Historical Museum d’Amsterdam depuis 1971, l’œuvre composée de 1 300 gouaches, réunie dans des boîtes par Albert Salomon, père de Charlotte, et sa femme Paula, a pu enfin être ordonnée. Elle est éditée aujourd’hui pour la première fois selon l’ordre et la cohérence souhaitée par l’artiste.
Conjointement reparaît, dans une version grand format, illustrée par 50 gouaches et des photos de Charlotte Salomon, le roman de David Foenkinos publié en 2014, Charlotte, consacré à la vie de l’artiste (prix Renaudot et Goncourt des lycéens), qui avait contribué à sa redécouverte (Gallimard, 260 p., 29 €).
Sabine Audrerie
25/11/15 - 13 H 22
http://www.la-croix.com/Culture/Livres-Idees/Livres/Charlotte-Salomon-une-vie-en-peinture-2015-11-25-1384729