Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Festival d’Angoulême
Festival d’Angoulême, la parité malgré eux
Après la polémique autour de la sélection 100% masculine du grand raout de la bande dessinée, «Libé» propose quinze auteures méritant de prétendre au Grand Prix.
La première sélection du Grand Prix d’Angoulême, dont la 43e édition se tient du 28 au 31 janvier, a mis le feu aux poudres : sur trente nominés, pas une seule femme. 100% d’hommes, donc, en lice pour un prix distinguant l’ensemble d’une carrière.
En réaction, Riad Sattouf (l’Arabe du futur) a annoncé «céder sa place» à ses congénères féminines. Joann Sfar (le Chat du rabbin) lui a emboîté le pas : «Cela enverrait un message désastreux à une profession qui de toutes parts se féminise.» L’Américain Daniel Clowes a suivi le mouvement, ainsi que Charles Burns, Pierre Christin, Etienne Davodeau, François Bourgeon, Christophe Blain, Milo Manara, Chris Ware, soit pour l’instant dix noms - d’autres pourraient suivre. Invitée de France Info mercredi matin, la ministre de la Culture, Fleur Pellerin, s’est dite «perturbée» par l’absence de femme dans la sélection : «Le compte n’y est pas tout à fait.»
En effet, les exemples de dessinatrices méritantes à la carrière fournie ne manquent pas, comme le montre le mot-clé #WomenDoBD apparu sur Twitter : «Alison Bechdel, Catel, Barbara Canepa, Debbie Drechsler, Julie Doucet, Chantal Montellier, Trina Robbins, Jeanne Puchol par exemple ont marqué l’histoire de la bande dessinée et ont eu pour la plupart du succès, ce qui constitue me semble-t-il le critère de la sélection», s’insurge Mirion Malle, dessinatrice du blogCommando Culotte. Face à l’argument selon lequel il n’y aurait «pas assez de femmes qui ont marqué la BD», celle-ci répond que «le dessinateur Zep a bien reçu le Grand Prix en 2004 après une courte carrière et une seule œuvre marquante, Titeuf».
En septembre, le Collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme, regroupant 147 artistes, mettait en ligne le siteBdEgalite.org. Après publication mardi d’un communiqué dénonçant l’absence de mixité dans la sélection du festival et appelant au boycott du vote, Marie Gloris Bardiaux-Vaïente, scénariste et membre du collectif, résumait : «On nie notre existence dans ce médium. […] Les femmes sont certes moins nombreuses dans ce domaine mais il y en a de plus en plus. Le plafond de verre est là. On nous dit : "Ok les filles, on tolère que vous fassiez de la BD mais il ne faut pas monter trop haut."»
Depuis 1974, seule une femme a reçu cette distinction, Florence Cestac, en 2000. Claire Brétécher, elle, a reçu en 1983 un Grand Prix spécial du 10e anniversaire. Le lauréat du Grand Prix étant Jean-Claude Forest.
Déjà en 2014, le processus de sélection avait été modifié et élargi à l’ensemble des bédéastes publiés en France, qui votent en ligne sur la sélection du Grand Prix établie par le comité de programmation composé de Stéphane Beaujean, Nicolas Finet et Ezilda Tribot. Il devrait ne rester que trois finalistes le 13 janvier, à l’issue de deux tours.
Interrogé par Libération, le délégué général du festival, Franck Bondoux, se défendait : «Ce Grand Prix récompense un auteur pour l’ensemble de son œuvre et sa carrière. Or, l’histoire de la BD jusqu’aux années 80 est essentiellement d’obédience masculine. On ne va pas instaurer des quotas. Le critère doit-il être absolument d’avoir des femmes ? Le festival reflète la réalité de cet univers.»
Mercredi, le festival a finalement annoncé une nouvelle liste où«figureront des auteures». Il faut dire que, dans ce contexte de désaveu cinglant par la profession, les organisateurs s’exposaient à un boycott des votes. Si jamais l’inspiration leur manquait, Libé a dressé une liste, non exhaustive, de quinze auteures.
Zeina Abirached
La Libanaise née en 1981, qu’on a souvent comparée à Marjane Satrapi, est publiée depuis 2006 en France. Le Liban est l’un des personnages principaux de son œuvre, qui comprend Je me souviens, Beyrouth (2008), variation perécienne sur son enfance beyrouthine, ou le Piano oriental, paru cet automne.
Nine Antico
Cette touche-à-tout de 34 ans, bédéaste mais aussi réalisatrice, s’est illustrée en 2010 avec Coney Island Baby, roman graphique entremêlant les vies de Bettie Page et de Linda «Gorge profonde» Lovelace, et avec l’acide Girls Don’t Cry (2010) saynètes piquantes mettant en scène un trio de jeunes filles en fleur. Elle s’est récemment intéressée à l’idolâtrie avec Autel California, librement inspirée de Pamela Des Barres, la groupie du gratin rock des sixties.
Alison Bechdel
L’Américaine de 55 ans, traduite en France depuis 1994, est l’auteure de plusieurs BD autobiographiques, telles que Fun Home, queLibération avait prépublié en feuilleton à l’été 2006, ou encore C’est toi ma maman ? Un drame comique, publié en 2013 chez Denoël Graphic. Névroses familiales, réflexions sur l’homosexualité et la psychanalyse, odes à Virginia Woolf, l’œuvre de Bechdel mêle introspection et érudition.
Claire Bretécher
Nul n’est censé ignorer que Claire Bretécher, icône de la contre-culture passée par Pilote, l’Echo des savanes ou le Nouvel Obs, est la génitrice d’Agrippine, ado vacharde et furax ainsi que de la série les Frustrés, chroniquant le dépit de la génération post-68. Honorée d’une monographie au centre Pompidou à 75 ans, la lauréate du Grand Prix spécial du 10e anniversaire d’Angoulême est toujours, rappelons-le, éligible pour ce fameux Grand Prix.
Catel
La Française, par ailleurs illustratrice pour la jeunesse, publie des BD et romans graphiques pour adultes depuis 2000. Ses biographies de figures féminines, comme Kiki de Montparnasse (2007), Olympe de Gouges (2012) ou encore Ainsi soit Benoîte Groult (2013), ont connu un succès public et critique. Elle publie en mars une biographie de Joséphine Baker.
Roz Chast
Plume historique du New Yorker, la dessinatrice de 61 ans a publié l’an dernier son premier roman graphique traduit en français, Est-ce qu’on pourrait parler d’autre chose ? (Gallimard), racontant la mort de ses parents. Elle est l’auteure d’une multitude d’ouvrages illustrés en langue anglaise compilant ses cartoons pour la presse et chroniquant ses angoisses avec un humour juif grinçant.
Nicole J. Georges
Née en 1981, elle signe Allo, Dr Laura ? (en compétition à Angoulême cette année), traduit l’an dernier en français. Ce récit initiatique queerà la recherche d’un père absent a été immédiatement salué par ses pairs, comme Alison Bechdel. Auteure de fanzines indé, Nicole J. Georges est parfois aussi portraitiste pour animaux de compagnie.
Phoebe Gloeckner
Active depuis les années 80, l’Américaine a d’abord fait paraître ses dessins dans des revues de comics underground avant de se lancer dans l’illustration médicale. Elle a fait paraître en France cet automne le superbe Vite, trop vite (éd. La Belle Colère), récit autobiographique hybride alternant dessins, saynètes de BD et texte, qui raconte son enfance wild dans le San Francisco des années 70. Alcool, sexe, drogues et bêtises d’ado incluses.
Ulli Lust
L’Autrichienne a été traduite pour la première fois en français en 2010 avec Trop n’est pas assez, par les éditions Ça et Là. Elle raconte son voyage initiatique en Italie marqué par le mouvement punk, la mendicité, la mafia et le sexe. Figure de la scène comic berlinoise, elle a publié plusieurs BD érotico-mythologiques. Son dernier album publié en France est Voix de la nuit, adaptation du roman de Marcel Beyer sur la rencontre entre la fille de Goebbels et un scientifique nazi.
Lisa Mandel
La dessinatrice marseillaise de 38 ans est repérée grâce à ses illustrations jeunesse régressives et, surtout, un blog, Libre comme un poney sauvage, lancé en 2005. Libé évoquait récemment Super Rainbow, sa dernière production fluo sur deux super-héroïnes lesbiennes mandatées pour sauver la planète.
Julie Maroh
Benjamine de notre sélection, la bédéaste née en 1985, passée par Bruxelles, a été repérée lors de l’adaptation au cinéma de son ouvrage,Le bleu est une couleur chaude par Abdellatif Kechiche sous le titre la Vie d’Adèle (palme d’or 2013).
Catherine Meurisse
Conviée à Angoulême dès le lycée dans le cadre d’un concours scolaire, cette dessinatrice de presse (notamment pour Charlie) de 35 ans est aussi illustratrice de livres pour enfants. Son dernier ouvrage, Moderne Olympia, met en scène de manière frénétique la peinture au musée d’Orsay. Dans Savoir vivre ou mourir, elle chronique les affres d’un stage auprès de Nadine de Rothschild.
Marion Montaigne
Tu mourras moins bête, mais tu mourras quand même, nous assène le Professeur Moustache depuis 2008. Création géniale de la dessinatrice de 36 ans, il fut d’abord l’objet d’un blog, puis de quatre tomes, dont le dernier a paru chez Delcourt à l’automne. Le principe est aussi bête que drôle : de faux lecteurs posent de vraies questions absurdo-scientifiques ; Moustache se charge d’y répondre.
Anouk Ricard
Ancienne des Arts décos de Strasbourg, la dessinatrice formée dans l’édition jeunesse conserve son trait enfantin, appliqué à l’érotisme (Planplan culcul) comme à la critique virulente de la culture corporate (Coucous Bouzon,prix BD 2012 des lecteurs deLibé). Sa série pour bambins Anna et Froga lui a valu une exposition au festival d’Angoulême l’an dernier.
Marjane Satrapi
On ne présente plus la Franco-Iranienne de 46 ans, dont on peut lire les œuvres depuis 2000. Elle a connu un immense succès, à la fois critique et public, avec la saga Persepolis (L’Association), qui retrace l’enfance de l’auteure à Téhéran, pendant la révolution islamique, puis son arrivée en Europe. Son utilisation exclusive du noir et blanc, la qualité de son trait et la force de ses récits, qui mêlent son histoire intime à celle de l’Iran, ont largement contribué à populariser le roman graphique en France.
Cette liste aurait pu inclure : Pénélope Bagieu, Chloé Cruchaudet, Annie Goetzinger, Chantal Montellier, Aude Picault, Posy Simmonds…