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Le jet d'eau

Poète : Charles Baudelaire (1821-1867)

Recueil : Les fleurs du mal (1857).

Tes beaux yeux sont las, pauvre amante ! 
Reste longtemps, sans les rouvrir, 
Dans cette pose nonchalante 
Où t'a surprise le plaisir. 
Dans la cour le jet d'eau qui jase 
Et ne se tait ni nuit ni jour, 
Entretient doucement l'extase 
Où ce soir m'a plongé l'amour.

La gerbe épanouie 
En mille fleurs, 
Où Phoebé réjouie 
Met ses couleurs, 
Tombe comme une pluie 
De larges pleurs.

Ainsi ton âme qu'incendie 
L'éclair brûlant des voluptés 
S'élance, rapide et hardie, 
Vers les vastes cieux enchantés. 
Puis, elle s'épanche, mourante, 
En un flot de triste langueur, 
Qui par une invisible pente 
Descend jusqu'au fond de mon coeur.

La gerbe épanouie 
En mille fleurs, 
Où Phoebé réjouie 
Met ses couleurs, 
Tombe comme une pluie 
De larges pleurs.

Ô toi, que la nuit rend si belle, 
Qu'il m'est doux, penché vers tes seins, 
D'écouter la plainte éternelle 
Qui sanglote dans les bassins ! 
Lune, eau sonore, nuit bénie, 
Arbres qui frissonnez autour, 
Votre pure mélancolie 
Est le miroir de mon amour.

La gerbe épanouie 
En mille fleurs, 
Où Phoebé réjouie 
Met ses couleurs, 
Tombe comme une pluie 
De larges pleurs.

Charles Baudelaire.
 

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