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Vierge à l’Enfant, sculpture du XIVe siècle, cathédrale Notre-Dame de Paris, France. © P. Deliss / Godong.

 La catastrophe qui s’est abattue sur ce la cathédrale Notre-Dame plonge Paris, la France et le monde dans une vive émotion. Le joyau inspiré par la foi et qui donne corps à la prière de l’Eglise à Paris restera une invitation, reçues des siècles précédents, faite aux hommes du monde entier à élever leur regard vers le ciel. Ce temps d’affliction est l’occasion pour tous les baptisés de se rappeler les paroles de saint Paul : Ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? (1Co, 3, 16)

 

   En quelque lieu qu’elles se réunissent en cette Semaine sainte, nos assemblées sont les principales demeures de Dieu, tournées vers la Vierge Marie, Notre Dame.

 

   En hommage à la Vierge du pilier heureusement épargnée, je partage avec vous le commentaire d’œuvre d’art sur la Vierge à l’Enfant du pilier de Notre-Dame publié dans le numéro spécial de Magnificat et édité à l’occasion de la visite du pape Benoît XVI en septembre 2008.

 

      Belle montée vers Pâques à tous,

 

David Gabillet

Rédacteur en chef

 

   Belle statue de Notre Dame ; statue symbole de Notre-Dame de Paris ; symbole plus fameux que nul autre ; hormis celui de la Pietà au fond du chœur. Cette Notre Dame-ci, grandiose et gracieuse, se tient debout, à droite, au seuil du chœur. Notre Dame de la Pietà est assise, sur l’ogive axiale du fond, sous la croix d’or, sommée de l’éclair blanc du Saint- Esprit, à jamais déchirure de la ténèbre. La Dame douloureuse tient son fils mort sur ses genoux et, de ses bras étendus, prend à témoin le silence du Ciel. La Dame de l’accueil tient ce même fils sur son bras. Mais c’est un fils enfant. La Dame de l’accueil est la Mère d’un petit enfant. Plus tard, quand il aura trente ans, il reposera, mort, paisible, sur sa maternelle douleur. Aujourd’hui, à l’entrée du chœur, il est encore l’enfant joyeux, presque facétieux, de sa jeune mère. De l’entrée au fond du chœur, entre ces deux statues de Notre Dame, s’étendent non seulement les temps des siècles, mais ceux de l’intime et de l’ultime, ceux des origines et de l’accomplissement. La durée sans fin du mystère, en laquelle se déroule celle, fugace, de nos vies promises à l’éternité.

 

   Notre Dame du Seuil est celle qu’humblement ici l’on vient prier. Celle qui paraît être ici depuis les origines et devoir y demeurer à jamais. Pourtant elle n’y fut pas toujours. Elle surgit du ciseau d’un sculpteur vers le milieu du XIVe siècle, destinée, avec bien d’autres compagnes, à la petite église Saint-Aignan, dans le cloître des chanoines, alors situé au flanc nord de la cathédrale. Sauvée de la sauvagerie antichrétienne du temps de la Terreur, elle fut placée à l’entrée de Notre-Dame, au portail de la Vierge, remplaçant une autre statue détruite en ces mêmes temps de délire. Enfin, on l’installa en ce lieu, là même où, autrefois, à l’entrée du chœur, un autel était dédié à Notre Dame. Ainsi Notre Dame du Seuil voyagea-t-elle, au cours des siècles, de seuil en seuil, jusqu’à venir, au seuil du chœur, constituer la proue du sanctuaire, dont la poupe est l’image du Dieu mort, vainqueur à jamais de la mort.

 

   Notre Dame du Seuil, Notre Dame de la proue du vaisseau de notre conversion, est une mère élégante et grave ; une mère à la longue robe, au long manteau, rythmé de longs plis gracieux, comme les vagues d’une mer mouvante et calme ; une mère puissante, dont le déhanchement n’altère pas mais discrètement suggère la majesté ; une mère virginale et royale, qui, de sa main droite, tient la fleur du Royaume des lys et dont le beau visage à l’abondante chevelure souple comme l’onde est ceint d’une couronne. L’enfant de Notre Dame joue sans façons avec le haut du voile de sa mère. Mais ce jeu évoque un mystère, celui de l’amour de l’époux. Cet enfant, qui n’est encore qu’un enfant, est déjà l’Époux ; et la jeune mère, qui le porte sur son bras, est la Mère Église qui, en cet enfant, porte l’Époux de l’Église : son Fils et son Dieu. La sphère que porte cet enfant est, elle, le fruit d’amour, redevenu virginal, du paradis, et qui symbolise le cosmos réconcilié sous son sceptre… Aussi le beau visage de la Mère et celui de son Fils Époux n’ont-ils pas d’expression, plongés qu’ils sont dans l’infini.

 

  Faut-il penser à tout cela quand on vient prier Notre Dame de Paris, au pied de son image ? Il suffit de la regarder. De lui confier ce que l’on désire. De s’en remettre à Elle de ce qu’il est bon de lui confier. Qui sait ? Comme en une après-midi de Noël, quand non loin d’elle, au chant du Magnificat, Claudel, d’un coup et pour toujours, se convertit, peut-être chacun de nous se convertira-t-il, peut-être sans éclat, sans même en avoir conscience. Peut-être alors, devant sa grave beauté et celle de son Fils, chacun commencera-t-il, ou recommencera-t-il sa traversée de la Dame du Seuil à la Dame du port, du port ultime, dont la lumière éternelle déchirera la nuit.

 

 

Dominique Ponnau

Conservateur général du Patrimoine,

Directeur honoraire de l'Ecole du Louvre

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