Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
En regardant une vieille "Grande librairie", j'ai entendu Joyce Carol Oates qui parlait de son veuvage et je lirais certainement:J'AI RÉUSSI À RESTER EN VIE
"J'ai réussi à rester en vie", de Joyce Carol Oates : le manuel de la veuve
La romancière américaine a réagi à la mort subite de son mari en faisant ce qu'elle sait le mieux faire : écrire.
Les Américains en ont presque fait un genre littéraire : la "Widow's story" ou "histoire de veuve". C'est l'art de "regarder le deuil en face". D'explorer de façon méthodique, quasi clinique, "l'expérience brute" de la mort de l'autre. De démasquer les ruses minuscules, les stratagèmes dérisoires qui permettront de rester en vie. Sans lui. Sans l'époux.
Il y a quatre ans, la romancière américaine Joan Didion nous en donnait un aperçu déchirant avec L'Année de la pensée magique (Grasset, 2007) récemment adapté par elle-même, sous le même titre, pour le théâtre (Grasset, 80 p., 10 €) et superbement mis en scène par Thierry Klifa, depuis le 2 novembre, au Théâtre de l'Atelier, à Paris. De sa voix de mezzo inimitable, Fanny Ardant, dans le rôle de la veuve, donne le ton d'emblée : "Je suis là pour vous dire ce que vous devez savoir..."
Comme s'il y avait quelque chose à savoir. De l'insu à révéler. Comme si être veuve, c'était - au grand étonnement de la veuve elle-même - passer de l'autre côté d'une paroi invisible, un monde parallèle, insoupçonnable, où la survivante se verrait brutalement projetée. Et dont elle tenterait de revenir, Eurydice sans Orphée, se cognant à chaque pas dans la profondeur des ténèbres.
A son tour, la grande romancière Joyce Carol Oates se lance dans la description de cette "chute libre". Elle en tient la chronique minutieuse. Pas à pas, page à page. Jusqu'à la dernière phrase du livre. Ce cri qui donne son titre à la version française : "J'ai réussi à rester en vie !"
En substance, son "message" est le même que celui de Didion : le veuvage, "cette punition qui attend les épouses", vous n'en avez aucune idée, semble-t-elle dire à ses lectrices. Et pourtant, cela vous arrivera... Un jour, comme moi, vous quitterez votre mari alors qu'il se remettait - plutôt bien - de la pneumonie qui avait failli l'emporter. Ce soir-là, vous sortirez de l'hôpital guillerette. Vous retrouverez l'appétit, vous dormirez même - oh ! comme vous vous en voudrez plus tard de ce sommeil coupable ! Et puis, à 0 h 38, le téléphone sonnera. "Votre mari, Raymond Smith, est dans un état critique..."
C'est ainsi que le livre commence. Avec ensuite, pendant 500 pages, enregistrées avec la précision d'un sismographe, toutes les variations du paysage mental de la veuve : l'incrédulité (disparu du jour au lendemain, "Comment est-ce possible ?"), le sentiment persistant de l'"erreur" (et s'il revenait ?), le choc des derniers messages (le répondeur qu'on interroge pour le seul plaisir d'"entendre sa voix encore et encore"), la difficulté de se heurter au chagrin d'autrui ("Il vous faut déjà toutes vos forces pour résister au vôtre"), le point d'honneur que met la veuve à se "débrouiller seule", les antidépresseurs en catimini, l'obligation de sourire pour montrer que "ça va", l'importance de prononcer le prénom du mort aussi souvent que possible ("de peur que ce nom se perde"), etc., etc.
Dans la "vraie vie", Joyce Carol Oates a effectivement perdu son mari, Raymond Smith, en 2008. Ils s'étaient connus dans une réunion d'étudiants à l'université du Wisconsin et avaient vécu ensemble "47 ans et 25 jours". Raymond Smith, éditeur, dirigeait l'Ontario Review, une revue qui avait publié les oeuvres d'écrivains consacrés - Margaret Atwood, Saul Bellow, Raymond Carver, Philip Roth, Robert Penn Warren, Richard Burgin... En 2008, alors qu'il guérissait d'une pneumonie, Raymond Smith a été emporté - le jour même où il devait sortir de l'hôpital - par une infection nosocomiale foudroyante.
Ce n'est pas l'écrivain Joyce Carol Oates qui raconte. Comment le pourrait-elle d'ailleurs - "La veuve habite une histoire dont elle n'est pas l'auteur". Disons que Joyce Carol Oates prête sa plume - mais quelle plume ! - à Mme Smith. Autrement dit Mme Tout-le-Monde. Les sentiments qu'elle décrit n'ont peut-être rien d'exceptionnel. Toute femme aura pu les éprouver - tout homme aussi sans doute. Songeons au superbe récit de veuvage de Claudio Magris Vous comprendrez donc (L'Arpenteur, 2008). Vers la fin du livre, Oates elle-même s'interroge : "Le chagrin de la veuve n'est-il pas pure vanité ? Prétendre que la perte qu'on a subie est si particulière, si extraordinaire qu'il n'y en a jamais eu de comparable ? Le chagrin de la veuve n'est-il qu'une sorte de passe-temps ou de hobby pathologique - une sorte de TOC, de "trouble obsessionnel compulsif" - comparable à la manie de se laver longuement les mains ou d'amasser toutes sortes d'objets sans valeur ?"
Rien d'extraordinaire ? N'empêche que le résultat est bouleversant. Jamais larmoyant. Parfois même drôle - par exemple quand le livre tourne au "Manuel de la veuve" ou quand l'auteur décrit certains rituels absurdes comme ces "corbeilles de condoléances de luxe" qu'on envoie aux Etats-Unis pour les deuils ("Les gens s'imaginent-ils que truffes et pâté de foie gras adoucissent le chagrin ?").
Bref, J'ai réussi à rester en vie ne ressemble à rien de ce que nous a donné jusqu'ici l'auteur de Blonde. Savoir que Joyce Carol Oates s'est remariée depuis (en 2009) n'enlève évidemment rien à sa force.
J'AI RÉUSSI À RESTER EN VIE (A WIDOW'S STORY. A MEMOIR)de Joyce Carol Oates. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Claude Seban. Philippe Rey, 480 p., 24 €.