C’était au temps où les hommes mouraient sur les champs de bataille. Sur les bancs de l’école, les enfants apprenaient qu’il en était ainsi : un soldat devait savoir mourir pour son pays, pour sa mère-patrie. On lui avait donné la vie, il fallait qu’il puisse la rendre.
Comme tous les tableaux qui entrent dans les collections de la Fondation, « Le soldat mort » a été exposé lors du conseil d’administration qui a suivi son acquisition. Il s’est alors passé quelque chose d’étrange. Plusieurs administrateurs, le découvrant, l’ont photographié. Avec application, posément. Ils ne l’avaient fait pour aucun autre tableau auparavant ; pourtant, il y en avait eu de très beaux.
Ce soldat mort attire et fascine. Ce n’est pas le tableau qui est beau, c’est cet homme mort, ce dormeur du val, qui nous captive par son sommeil de pierre déjà frappée de lividité. Entre la solidité de marbre éternel et la fragilité d’une chair qui s’altère s’impose la terrible esthétique de la mort qui nous appelle et nous repousse, qui nous impose une confrontation à la vérité, à nous-même.
« Le soldat mort » est un bon tableau, efficace, direct, simple. Solidement charpenté, il est construit comme un paysage traditionnel, le corps découpant une « Sainte-Victoire » symboliste aux formes équarries sur une banale ligne d’horizon. Mais la montagne ici recèle un drame qui se joue en plusieurs actes. Le corps minéral et anguleux du soldat présage le monument aux morts des villages –commémoration des gloires absurdes et des saignées ineptes.