Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Édition N°2144 - Les femmes à la proue des musées
Les femmes à la proue des musées
Aujourd'hui en France, deux tiers des musées nationaux sont dirigés par des femmes. Un chiffre en progression qui masque encore des inégalités de traitement.
En mars dernier, Catherine Chevillot, directrice pendant huit ans du musée Rodin, a pris la présidence de la Cité de l’architecture et du patrimoine. Elle y remplace Marie-Christine Labourdette, nommée à la tête de l’établissement public de Fontainebleau. Un jeu de chaises musicales classique propre aux remaniements. À un détail près. Ces nominations récentes donnent raison au constat de l’Observatoire 2021 de l’égalité entre femmes et hommes dans la culture : 67 % des musées nationaux sont dirigés par des femmes, soit 27 % de plus qu’en 2019. Ailleurs aussi les lignes bougent depuis plusieurs années. En 2014, Tatyana Franck prenait la direction du musée de l’Élysée, à Lausanne, à tout juste 30 ans. Deux ans plus tard, Frances Morris est nommée à la tête de la Tate Modern de Londres, l’un des plus importants musées d’art moderne au monde. Même le Vatican a donné des leçons de féminisme en désignant en 2017 pour la première fois de son histoire une femme, Barbara Jetta, à la tête des 12 musées de la Cité papale. L’année suivante, c’était au tour de Souraya Noujaim d'accéder à la direction scientifique du Louvre Abu Dhabi.
« J'ai une vision différente sur l'accession aux femmes à des postes de direction selon qu'il s'agisse de musées nationaux ou régionaux, explique Yannick Lintz, actuelle cheffe du département des arts de l'Islam au Louvre. Avant même ma génération, il y avait des femmes à la direction de musées régionaux. » Elle ajoute : « Les collectivités locales étaient plus en avance à ce sujet que l'Etat qui commence depuis quelques années à suivre cette tendance et à nommer davantage de femmes aux directions d'institutions nationales et/ou parisiennes ».
Légitimité et résistances
« Depuis dix ans les efforts ont porté leurs fruits, on ne se pose plus la question de la légitimité des femmes », salue Catherine Grenier, directrice de la Fondation Annette et Alberto Giacometti. Pourtant, celle qui fut directrice adjointe du Musée national d’art moderne reconnaît avoir senti une différence de traitement, notamment lorsqu’elle a brigué des postes plus gradés. « On dit d’une femme qu’elle est ambitieuse et le mot sonne comme négatif, et d’un homme qu’il a une vision, confie-t-elle. On s’est senties bridées par rapport au regard qu’on nous portait. » Emma Lavigne, présidente du Palais de Tokyo après avoir dirigé le Centre Pompidou-Metz, admet qu'il est difficile de concilier, au regard de certains, le fait d'être une femme et d'imposer son pouvoir. « Diriger c'est aussi parfois ne pas être aimée…, souligne-t-elle. Or, on conditionne les femmes depuis leur plus jeune âge à être aimables, séduisantes, gentilles. Imposer ses responsabilités, c'est négocier des rapports de pouvoir, et ça peut être très complexe quand on est une femme. » « Il faut faire davantage ses preuves en tant que femme à ces postes de direction, analyse quant à elle la présidente de la Cité de l’architecture Catherine Chevillot. On nous fait moins confiance quand il s’agit de superviser des travaux ou des chantiers techniques. » Bien qu’elle affirme avoir rencontré peu de problèmes au cours de sa carrière, elle se rappelle d’un événement désagréable sur un chantier de restauration où son autorité avait injustement été remise en question par un de ses collaborateurs. Nommée à la direction du musée des Beaux-Arts d'Agen en 1992, Yannick Lintz se souvient : « J'avais 28 ans lorsque j'ai pris mes fonctions et un journal de la région, Le Petit Bleu, avait titré un article sur ma nomination "Jeune, célibataire : la nouvelle directrice du musée d'Agen"...