«I AM NOT YOUR NEGRO»
de James Baldwin (visible sur OCS)
Non content d'être une introduction accélérée aux mots d'un immense écrivain, dont la pensée limpide s'est attaquée aux fondements du racisme aux Etats-Unis, le documentaire consacré par le cinéaste haïtien Raoul Peck à l'écrivain américain James Baldwin, I Am Not Your Negro, est aussi un film de cinéma - et sur le cinéma -, décortiquant la manière dont, depuis son enfantement, Hollywood a perpétué le mythe d'une pureté blanche et aidé à fabriquer la figure du «nègre», exutoire à la violence rentrée qui travaille le pays. Son point de départ est un ensemble de notes laissées par Baldwin, mort en 1987, en vue de l'écriture d'un livre qu'il comptait consacrer à trois leaders des droits civiques aux Etats-Unis, tous assassinés dans les années 60: Medgar Evers, Malcolm X et Martin Luther King. Moins dissemblables que l'histoire a bien voulu le laisser croire, ils étaient amis de Baldwin et ont surtout, à la fin de leur vie, convergé dans leurs luttes, attaquant les inégalités sur la base du système de classe plus que de «race». Racontant les destinées des trois leaders, et puisant dans les écrits de Baldwin, dont The Devil Finds Work consacré à Hollywood, Raoul Peck les juxtapose à des scènes d'actualités, notamment du mouvement Black Lives Matter, démontrant que la pensée de l'écrivain a gardé sa pleine vérité. Si le film est captivant, c'est aussi parce qu'y apparaissent des extraits d'émissions télévisées où Baldwin, extraordinaire orateur, brille d'élégance et d'intelligence, son doux parlé staccato, sa manière faussement nonchalante vous désillant les yeux d'un coup sec. Ces séquences font regretter l'âge d'or de la télévision, livrant une critique implicite de l'entertainment contemporain: qui, aujourd'hui, inviterait ce genre de penseur à discourir, aussi longtemps, avec une telle liberté? E.F-D.
Photo: OCS