par SANDRA ONANA
CÉSARS ET VIEILLES SALADES «Illusions perdues», cela aurait pu être le thème de la calamiteuse réception de la cérémonie des césars l’an dernier – il y a 500 av. omicron BA.2. Mais c’est d’abord le titre du film de Xavier Giannoli, qui cumule le record historique des nominations cette année. On en découvrait la liste aujourd’hui. Citée quinze fois, la fastueuse adaptation d’un des volumes les plus notoires de la Comédie humaine de Balzac est en tête du peloton formé par Annette (11 nominations), l’opéra pop en langue anglaise de Leos Carax sur la musique des Sparks, et Aline de Valérie Lemercier (10), vrai-faux biopic sur Céline Dion avec de vrais tubes et sequins à l’intérieur. Le trio distingue un cinéma de qualité française fort de beaux moyens de production, et rend statistiquement plausible une razzia d’Illusions perdues et Aline – qui dit grosses équipes techniques, dont les membres sont autant de votants aux césars, dit presque mécaniquement autoplébiscite dans les urnes. Le triomphe du premier prouverait qu’on peut rafraîchir le matériau plus-académique-tu-meurs d’un roman balzacien du XIXe. Un coup de filet du second consolerait en partie la carrière frustrante, à 1,3 million d’entrées, d’un blockbuster populaire pénalisé par le Covid – performance proche de celle réalisée en salle par l’inepte Eiffel, laissé sur le bas-côté avec trois nominations.
Au rang des déceptions: avec quatre nominations, dont aucune dans la catégorie meilleur film (ni dans meilleur second rôle pour un Vincent Lindon stéroïdé qui avait pourtant tout donné… ou tout lâché), on en viendrait à douter que la palme d’or Titane fut réellement choisie par la France pour la représenter aux oscars. Egalement cité quatre fois, l’Evénement d’Audrey Diwan (lion d’or à Venise, poussivement présenté comme le «rival» naturel du bébé monstrueux de Julia Ducournau) rafle autant de nominations que Onoda, 10 000 nuits dans la Jungle, splendide outsider loupé par les radars défaillants de la compétition cannoise. S’il fallait jouer plus sérieusement le jeu éculé de la dissection des nommés, il faudrait bien sûr s’offusquer de ne retrouver A l’abordage de Guillaume Brac dans aucune catégorie. Eventuellement, remettre une pièce dans le jukebox de la grande engueulade critique sur le bourrin Bac Nord (sept nominations). Et puis, pour la beauté du geste, interroger les chances de cette nouvelle remise de prix de racheter le loupage de l’édition 2021.
Car rappelez-vous, dans l’épisode précédent, les césars tentaient d’asseoir le règne d’une nouvelle famille rajeunie, plus cool du cinéma français, grâce à une académie rafraîchie de fond en comble. Celles et ceux qui endurèrent le sacre consternant d’Adieu les cons jusqu’au bout peuvent en témoigner: le fol espoir d’assister à un show plus regardable que du temps où il était régenté par un club de vieilles barbes a fait long feu. En maîtresse de cérémonie, la méritante Marina Foïs, qu’on ne voit pas rempiler de sitôt, faisait de son mieux avec les sketch scato écrits par Laurent Lafitte et Blanche Gardin. Les jours suivants, le violent procès en vulgarité instruit par la profession, vent debout contre le happening d’une Corinne Masiero fantastiquement déculottée, dénonçait une navrante mascarade. Laquelle fut jugée responsable à elle seule du record de chute historique des audiences, du septième art assassiné, du potentiel retrait de Canal + des aides du secteur, de la fonte des calottes glaciaires, et des sept plaies de l’apocalypse sanitaire jusqu’à l’ultime variant ZB.9.
Avec le retour d’Antoine de Caunes en maître de cérémonie, le programme de l’édition 2022 annonce la couleur. Ouf, retour aux valeurs refuges. Les tenants du radical-chic, sûrs de leur impertinence, ont eu leur chance. A présent, vous reprendrez bien un peu d’esprit Canal vieille manière sorti du formol? Plus surprenant, cette cérémonie 2022 portera aussi la cinéaste Danièle Thompson en présidente, scénariste de la Grande Vadrouille, de la Boum ou encore la Reine Margot. Sans être au stade de la Restauration, les césars à la poursuite de leur majesté d’antan s’en remettent à un marrainage empreint d’œcuménisme. Quoi de plus irrécusable que l’attelage De Funès, une jeune Sophie Marceau et Patrice Chéreau? Mais ce serait faire preuve de mauvais esprit qu’annoncer un retour en fanfare de la consensualité du spectacle avant même son déroulement. La cérémonie aura lieu le vendredi 25 février.