«MYSTÈRES DE LISBONNE»
de Raúl Ruiz (visible sur Arte)
Mystères de Lisbonne est le film dont vous êtes le héros mental. Chef-d'œuvre tout en plans-séquences glissés et labyrinthiques, «containers d'autres plans que le spectateur fabrique, déclare le réalisateur Raúl Ruiz, mais qui ne sont pas explicitement dans le film.» D'où cette impression de 3D sans les lunettes: personnages, lieux et situations ne sont pas en relief, c'est plutôt l'alchimie de notre rapport à eux qui sort de l'écran. Travellings spécieux, portes battantes dans le continuum spatio-temporel, petit théâtre de la vanité, tableaux dans le décor comme autant de panneaux indicateurs (surveillez l'accrochage subtil de ce Musée des songes et mensonges): il y a toujours dans votre dos un univers qui tourne à une vitesse différente, et que vous ne voyez pas. Comme son titre l'indique, Mystères de Lisbonne, tiré d'un roman à succès du XIXe siècle de Camilo Castelo Branco, est un feuilleton détraqué, avec enlèvements de fiancées, enfants perdus-cachés, moine sans Lewis, lettres volées, etc. Il y a trois couches, répétant peu ou prou le même schéma et qui, évidemment, s'interpénètrent à la fin pour éclater en bulle de pure fiction. L'idée du romanesque échevelé peut a priori rebuter, mais là, c'est tellement bien cuisiné que Ruiz prouve, comme il le plaisante, à quel point «le feuilleton est un organisme avec un foie excellent: il peut tout digérer». Il existe aussi une version en six heures pour la télé portugaise, en six épisodes aux titres éclairants: «l’Enfant sans nom», «le Comte de Santa Barbara», «l’Enigme du Père Dinis», «les Crimes d'Anacleta dos Remédios», «Blanche de Montfort» et «la Vengeance de la duchesse de Cliton». Les Français seront heureux d'apprendre que Clotilde Hesme, Malik Zidi, Melvil Poupaud et Léa Seydoux jouent dans les chapitres francophones. E.L.
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Photo: Clap Filmes