L’injustice dans le monde me fait pleurer. Elle crie en moi comme le sang d’Abel. «Écoute le sang de ton frère qui crie vers moi du sol »*, dit Dieu ! Ce cri me déchire le cœur. Mais cette compassion fait-elle de moi une personne juste pour autant ? Non. Attention, je peux me faire illusion : Dieu seul est juste ! Tout reste à faire…
Mon travail, au monastère, c’est la couture. La couture, ce n’est pas un art mathématique ! On espère toujours que ça va tomber juste, mais ça n’arrive jamais : c’est pourquoi on dit qu’il faut « ajuster les morceaux » : tirer un peu sur le tissu, faire des fronces, recouper… jusqu’à ce que ça tombe correctement.
Dans nos vies, c’est pareil… il faut s’ajuster, et non pas chercher à être « des justes ». S’ajuster, ça ne se fait pas tout seul : il faut être au moins deux pour cela. On croit toujours qu’on a les bonnes manières, les bonnes pensées, les bonnes idées, et que c’est aux autres de s’ajuster à nous ! Mais c’est l’autre qui nous ajuste, on se laisse ajuster par lui, l’autre, au Tout-Autre… Peu à peu, sans s’en apercevoir, dans la prière, la fidélité, le pardon, on gagne en justesse, et c’est alors seulement qu’on entre dans la justice de Dieu !
Il n’y a pas d’autre recette : avec saint Paul, je veux tâcher de «gagner le Christ, afin d’être trouvé en lui, n’ayant plus ma justice à moi, mais la justice par la foi au Christ, celle qui vient de Dieu et s’appuie sur la foi»**.
* Livre de la Genèse ch. 4, v.10
**Lettre de st Paul aux Philippiens ch. 3, v.9